ordiecole.com : jean-marie musy (1876-1952)

l'ex-conseiller fédéral qui soignait son extrême droite...

Au moment où les historiens s'intéressent à Jean-Marie Musy, «L'Hebdo» a découvert dans les archives fédérales comment le Fribourgeois a frayé avec les nazis suisses.

Anticommuniste forcené, adepte de la défense de l'ordre intérieur et partisan d'une «démocratie plus disciplinée».

Ambiguë et parfois inquiétante, la figure de Jean-Marie Musy (1876-1952) n'a suscité que fort peu de recherches historiques. D'où l'intérêt de l'article* que vient de consacrer le doctorant Daniel Sébastiani à ce conseiller fédéral fribourgeois (de 1919 à 1934) qui a connu une retraite aussi active que trouble.

On y apprend que, entre décembre 1940 et janvier 1941, Jean-Marie Musy s'est transformé en «émissaire de Vichy auprès des Allemands pour amener ceux-ci à rétablir de bonnes relations avec la France de Pétain(...) [qui vient d'irriter le Reich en renvoyant Laval, ndlr].

Alors qu'il peut faire d'autres choix, ou même s'abstenir, Musy cherche volontairement le contact avec les puissants du moment.» Pour cet opportuniste, une seule chose compte: «Il faut sauver la Suisse.» Et l'Allemagne se présente comme une solution acceptable à cet «anticommuniste forcené» qui craint encore plus Staline que Hitler.

A 54 ans, Musy, encore plein d'énergie, espère aussi reprendre ce pouvoir qu'il a dû abandonner sept ans plus tôt sur un coup de force raté. Conservateur influencé par la montée des partis frontistes, il estimait alors que la Suisse avait besoin «d'une démocratie plus disciplinée». Au point de sommer ses collègues du Conseil fédéral d'accepter son projet de loi sur la défense et le maintien de l'ordre intérieur, sous peine de le voir démissionner. Cet ultimatum ayant été rejeté, il avait pris la porte dans l'indifférence générale.

En 1941, Jean-Marie Musy croit à nouveau en ses chances. Car, estime Daniel Sébastiani (qui a surtout travaillé sur des sources allemandes), Musy a vu que partout en Europe occupée, Hitler préfère avoir affaire à des notables pragmatiques plutôt qu'à d'encombrants collaborationnistes. Et il se présente comme un candidat «respectable» à ce poste, même s'il reste isolé en Suisse, comme le prouve sa non-réélection au Conseil national en 1939 ainsi que le rejet des conservateurs fribourgeois qui le considèrent comme un homme «déjà occupé... qu'il faut surveiller.» Une analyse partagée par les autorités suisses, comme le montrent les recherches menées par «L'Hebdo» sur des sources helvétiques inédites**.

«Le rôle de Musy n'est pas encore clair. Il semble cependant qu'il cherche à entraîner derrière sa personne les mouvements de rénovation nationale», estime le ministère public dans un rapport du 1er novembre 1940. Ces soupçons vont se renforcer sans jamais se confirmer. En effet, Jean-Marie Musy a multiplié les contacts avec le MNS (Mouvement national suisse, un parti dont les statuts sont une traduction intégrale de ceux du parti nazi allemand ), comme le montrent les rapports de la police et de la gendarmerie d'armée qui le surveillent de près. Notamment à Gstaad, dans son Chalet Wildhorn, où il reçoit de nombreux membres du MNS entre novembre 1940 et février 1941.

On le voit ainsi skier avec le Dr Paul Martin, Vaudois, médaillé olympique, un homme qui a mangé à la table de Hitler durant les Jeux de 1936. Il raccompagne à la gare Philippe Amiguet, membre du MNS et journaliste au «Mois-Suisse», qui «rend régulièrement visite à ceux qui, comme l'ex-président Musy, partagent ses idées», selon la police bernoise.

Mais l'homme que l'on voit le plus souvent chez lui est le chef romand du MNS, le Dr Walter Michel, un Fribourgeois établi à Genève, dont le père était un camarade de parti de Musy, officiellement en convalescence à la montagne suite à un accident de taxi. Un médecin de Gstaad signale la présence de Michel au Chalet Wildhorn, accompagné d'autres membres du Mouvement. Ce jour-là, Musy «tempêtait» contre le Conseil fédéral: «Ce sont des imbéciles, ils sont fous d'avoir autant de troupes sur pied.»

De son côté, Musy n'oublie pas son invité lorsque les choses se gâtent, n'hésitant pas à se mouiller en sa faveur. Le 10 juin 1941, Walter Michel et 130 autres membres du MNS sont arrêtés par la police suisse qui cherche à mettre un terme aux activités de ce mouvement interdit le 19 novembre 1940, mais qui poursuit son travail dans la clandestinité.

A la prison Saint-Antoine de Genève, Michel est interrogé sur ses relations avec Musy: «J'ai beaucoup d'estime pour son activité politique passée et actuelle, et je crois que M. Musy a l'estime réciproque envers moi.» L'ex-président de la Confédération ne trahira pas cette confiance. Informé de la situation de Michel qui reste plusieurs semaines au secret, Musy écrit au chef du Département fédéral de justice et police pour lui dire son étonnement: «Monsieur Michel m'a laissé l'impression d'être un excellent Suisse.»

Cette missive ne suffira pas à sauver le responsable du MNS : Michel sera malgré tout condamné à la prison ferme. Musy, en revanche, ne fut jamais inquiété. En bon tacticien, il a su tourner sa veste à temps. En effet, dès 1943, l'ex-conseiller fédéral semble renoncer à ce jeu dangereux, et, en 1944-1945, il apparaît même dans une opération qui permit de libérer 1200 Juifs, à défaut d'effacer les errements passés.

article de Jocelyn Rochat dans www.hebdo.ch

* «Jean-Marie Musy dans l'orbite du Reich d'Adolf Hitler: entrée et trajectoire»,
dans la revue Les Relations internationales et la Suisse, Antipodes, 1998.
( voir : " le conseiller fédéral ami des nazis" dans www.hebdo.ch et la thèse doctorat de Daniel Sebastiani, à l'université de Fribourg)

** Les sources de cet article proviennent des Archives fédérales (voir liens),
dossiers E27 11216 et C. 2.487/4320 B 1970 2S.

  • Jean-Marie Musy sur le site officiel de la confédération suisse : http://www.admin.ch/ch/f/cf/br/53.html

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