La Chaux-de-Fonds, le 28 novembre 2003

 

 

Cher Marcel, chers camarades, chers amis,

 

Margot Greub, vient de décéder paisiblement dans sa 86ème année.

Son enfance et son adolescence se situent entre les deux guerres mondiales.

Elle est née le 23 septembre 1918, à la fin de la première guerre, au sein d’une famille bourgeoise d’industriels juifs. Elle n’a pas pu faire les études supérieures qu’elle souhaitait entreprendre car telle était la conception du rôle de la femme au sein de la famille et dans la société à cette époque.

 

Déjà, la future militante pour l’émancipation féminine, trouve cela injuste.  A la fin de l’école, elle veut être indépendante et elle recherche un emploi qu’elle fini par trouver. Elle  apprend le secrétariat. Puis, avec volonté, elle persuade, j’aurais envie de dire elle contraint, son père à la laisser partir en Angleterre. De retour au pays, elle travaille dans cette formation durant quelques années. 

 

Décidée à se marier, c’est avec Marcel qu’elle trouve l’homme avec qui elle peut imaginer fonder une famille. Ils se marient fin 1941, au début de la seconde guerre. Ce mariage unit Marcel, de père protestant et de mère catholique avec Margot, juive. A cette époque, même à La Chaux-de-Fonds, marier une juive n’allait pas de soi. Pensaient-ils tous les deux, alors, qu’ils vivraient ensemble 62 ans, à un mois près ?

 

La guerre conduit Marcel à être souvent sous les drapeaux et Margot, de son côté, s’engage comme SCF-conductrice à la Croix-Rouge. A la fin de sa formation de médecin, le docteur Greub, comme il était et est encore appelé, a la possibilité d’ouvrir un cabinet. C’est alors qu’ils décident d’avoir des enfants : 1944, Jean-Daniel, 1946, André, 1948, Hélène.

 

La vie du couple peut se résumer en trois parties. La médecine pour Marcel, la politique au sens large pour Margot et ensemble avec leurs enfants, la musique et les voyages.

 

Répondant à un journaliste de Lausanne qui la questionne sur ses occupations lorsqu’elle ne fait pas de politique, elle précise :

« Je fais le ménage et la cuisine, seule. Je fais partie de plusieurs sociétés, mais j’aime surtout la musique. Nous avons d’ailleurs constitué un véritable orchestre en famille et nous donnons des concerts à des amis. Mon mari joue de la clarinette ; Jean-Daniel, de la flûte, du basson et du piano ; André, du violon et du cor ; Hélène, du violon et de la flûte et moi, du hautbois. Oui, la musique a une grande part dans notre vie ! »

 

André Corswant est le mari de sa cousine Marcelle. Elle le rencontre et les convictions d’André sont telles qu’elle adhère au POP en 1945, « parce que j’ai toujours été révoltée par les injustices sociales et que ce parti les combat ».

 

D’un caractère fort et déterminé, Margot conduit son militantisme politique principalement au sein de la section de La Chaux-de-Fonds.
Avec ses camarades, elle veut construire une société plus juste.


Le droit d’éligibilité est accordé aux femmes en 1959.
Naturellement, Margot se met en liste, et elle est élue au Conseil général en 1960 et au Grand conseil en 1961 : 1, 2.
Le 19 juin 1962, la popiste Marguerite Greub devient la première femme de Suisse à présider un législatif communal,
le Conseil général de La Chaux-de-Fonds.

 

(Ce parti a de la suite dans les idées puisque la première femme à être élue au Conseil communal de La Chaux-de-Fonds est notre camarade Claudine Stähli Wolf).

 

S’exprimant devant l’auditoire, Margot Greub fait valoir immédiatement ses qualités sociales et ses propos sont marqués par l’envie de servir plutôt que par celui de régner. La présidente dit notamment  « c’est au nom des femmes suisses que je vous remercie (…) d’avoir « courageusement » accepté que notre Conseil soit présidé par une femme. Ce n’est pas pour plaisanter que j’utilise le mot « courage » car il est certainement fort étrange qu’une assemblée composée d’une telle majorité de représentants du sexe masculin ne soit pas présidée par un homme, et je suis heureuse de rendre hommage ici, Messieurs, à votre sincère et véritable esprit démocratique ». (…)

Elle précise encore   « nous sommes heureux d’apprendre que La Chaux-de-Fonds a toujours plus d’enfants, mais nous ne devons pas oublier que ce n’est pas à leurs  parents seulement que les enfants créent des obligations. Notre commune elle aussi a de multiples devoirs envers ses jeunes et très jeunes citoyens ».

Elle conclu en espérant « que durant l’année qui vient nous aurons la satisfaction de rendre service à un grand nombre de nos concitoyens en réalisant plusieurs de leurs vœux » (…)

 

Qu’il serait agréable aujourd’hui de pouvoir entendre de pareils propos car ils sont de ceux qui favorisent le lien entre  la population et les institutions publiques.

Pour la petite histoire, dans la page de l’Impartial qui reproduit  le discours de Margot, on trouve le fait divers suivant sous le titre : « un accident rare » : « Hier, un passant a été blessé à une jambe en passant au-dessus d’une fosse d’aisance dont le couvercle a basculé. Il a reçu les soins du docteur Greub ».

Le hasard de ces informations démontre qu’à leur manière, Marcel et Margot sont au service de l’autre.


Mais revenons à cette mémorable séance et citons le président du Conseil communal d’alors, André Sandoz, qui souligne qu’« il ne nous est pas indifférent mais au contraire agréable que cet événement survienne en 1962, c’est à dire moins de trois ans après le moment où les femmes ont obtenu dans notre canton le droit d’éligibilité en matière communale et qu’il se produise dans une ville où plus que dans beaucoup d’autres du pays la légitime revendication de l’accession des femmes à la plénitude des droits civiques a suscité depuis plus d’un demi-siècle des défenseurs fervents, persévérants et tenaces.  En 1960, La Chaux-de-Fonds a eu l’honneur de compter au nombre de ses habitantes la première femme députée de Suisse. En juin 1962, elle salue la première présidente d’un parlement local. Ce sont deux beaux hommages successivement rendus aux pionniers de l’idée féministe en notre ville ».


Dans un entretien rédigé par Pierre Champion, La Feuille d’Avis de Lausanne, dans son numéro du 30 juin 1962, interroge Margot sur son engagement politique. A quoi tenez-vous le plus sur ce plan ? « Le POP a abandonné son principe de la prise du pouvoir, même par la force s’il le fallait. Il croit, aujourd’hui, avec les socialistes, que notre régime peut être amélioré par des transformations successives ».

 

Lors de sa première élection au Grand conseil, en 1961,  Margot siège avec ses camarades André Corswant, Jean Steiger, Charles Roulet et Maurice Vuilleumier. Elle y restera jusqu’en 1973. Elle en fut nommée 1ère vice-présidente le 20 mai 1968. Il y avait alors quatre femmes parmi les 115 députés.

Son militantisme devait être contagieux au sein de la famille puisque André et Hélène sont toujours engagés dans le même parti et pour les mêmes causes.

 

Le lancement par l’UDC d’un référendum contre l’assurance maternité et la différence qui subsiste entre le salaire des hommes et celui des femmes démontrent que l’objectif n’est pas encore atteint. Mais d’autres continuent à travailler à sa réalisation et il en sera ainsi tant qu’il y aura de la justice à conquérir.

 

Margot a quitté la vie après 4 jours d’hôpital, estimant qu’elle avait fait ce qu’il fallait faire.

Une épouse, une mère, une grand-maman s’en est ainsi allée.

C’est le déroulement naturel de l’existence et c’est pour cela que naissent les enfants.

 

Dans la folle histoire de l’émancipation humaine, il y a des personnes et des camarades qui gagnent à être connus, Margot était de ceux-là.
Nous nous souviendrons de son grand rire et de sa prestance claire et rayonnante.
Que Marcel, ses enfants, petits enfants ainsi que l’ensemble de la famille acceptent notre amitié.


                                               Alain Bringolf