Roland Tolmatchoff, né le 25 mars 1930 à Kharkov en Ukraine Le problème est épineux. Comment diable faire entrer dans les 150 petites lignes ci-dessous la vie entière de Roland Tolmatchoff? En commençant par le début peut-être? Mais par quel bout débobiner cet écheveau biographique qui a traversé tous les pays du globe ? «sauf trois: l'Albanie, la Corée du Nord et la Guinée équatoriale» ? et tutoyé le gotha littéraire et cinématographique. En disant, par exemple, que le libraire-voyageur fête cette année un double anniversaire. Celui des 20 ans de sa Librairie des Auteurs Suisses et de l'ABC du livre d'occasion. Les deux boutiques se font face sur la rue Hugo-de-Senger et croulent pareillement sous l'écrit en équilibre. Le second jubilé? Il consacre les 75 ans de son arrivée sur Terre, à Kharkov en Ukraine, plus précisémment. Sophie-Erna Probst, sa mère, est Suissesse. Grigory Pidoubny Tolmatchoff, son père, exerce la profession de diplomate, préside à l'Union des écrivains ukrainiens, et ne cache ni ses vues nationalistes ni ses idées sur le tsar. «Maman qui ne voulait pas de troisième enfant avait conclu un marché avec mon père. Contre ma naissance, il la laissait libre d'entreprendre seule un tour du monde.» Le périple n'aura jamais lieu. Grigory ­Pidoubny se fera arrêter avant de tenir sa promesse. Nul ne le verra revenir vivant du goulag stalinien. Avant de disparaître, il aura eu le temps de léguer à son fils sa passion pour les lettres françaises ? il possédait la bibliothèque francophone de Nicolas II ? et l'écriture. Un goût qu'il a inscrit dans le prénom de son fils. Ce Roland qu'on lui a donné, ne rend-il pas hommage à l'écrivain Romain Rolland, ami de la famille? Mais la guerre frappe à la porte et les temps sont à la fuite. Arrivés en Suisse en 1939 après mille méandres, les Tolmatchoff passent par Bâle avant de s'installer à Genève. Roland veut faire carrière dans le cinéma. Il quitte donc le calme plat lémanique pour le Paris qui swingue. Jean-Luc Godard l'engage comme assistant sur Le mépris. «Ce qui voulait dire, en gros, faire le manoeuvre. Jean-Luc me laissera quand même tourner un plan du film, la scène finale où le cabriolet de Bardot s'encastre dans un camion. Mais le cinéma reste pour moi une vraie déconvenue.» Fin des films. Retour aux livres et aux voyages. Avec Catherine Domain, il fonde la Librairie Ulysse en 1971 sur l'île Saint-Louis à Paris. La petite échoppe promeut les récits au long cours et les écrivains bourlingueurs. L'adresse se fait un nom et sa cofondatrice une image. «On avait décidé que je m'effacerais derrière Catherine. On se disait que ce bout de femme qui en avait tant vu plairait davantage aux médias que ma grande carcasse.» Judicieux calcul. L'Express vient d'ailleurs de consacrer quatre pages à la boutique qui fêtera à Hendaye, en juillet, les 34 ans de son ouverture. Catherine et Roland, qui se sont rencontrés en 1964, se marieront finalement, en 1989, avec Nicolas Bouvier et Ella Maillart comme témoins. Et chacun retourne chez soi. Un trajet de TGV sépare le couple depuis longtemps. Loin des yeux, mais pas du coeur. Roland parle sans arrêt de sa femme. «On se téléphone tous les jours. C'est quelqu'un d'extraordinaire. Autant elle sait rester très discrète sur elle-même, autant je passe mon temps à parler de moi.» Certains le poussent d'ailleurs à rédiger ses mémoires. «Entendre quelqu'un raconter son existence, c'est sans doute passionnant. La découvrir entre les pages d'un bouquin, c'est une autre histoire. Qui voudrait lire la vie de Roland Tolmatchoff?» Il préfère donc raconter de vive voix son amitié avec Moustaki, la générosité de Cocteau et ses visites au chevet de Colette clouée dans son appartement de la rue Beaujolais. Sans oublier son escapade au Yémen, à l'époque le pays le plus fermé du monde. «C'est Georges Henri Martin, rédacteur en chef de la Tribune de Genève, qui m'avait commandé ce reportage.» Petit problème: Laurence Deonna est aussi sur le coup, mais pour le compte du Journal de Genève. Martin décidera de publier l'odyssée sous forme de feuilleton pendant les deux mois de l'été 1978. «J'embarquais alors avec moi Sophie, ma copine de l'époque.» Car on ne vous l'a pas encore dit, mais «Tolma à la barbe fleurie» passe pour un homme à femmes. Personne ne connaît le nombre exact de ses conquêtes. On sait, en revanche, les qualités requises pour plaire à cette figure volubile de la Cité. «Avoir la patience de m'écouter. Je suis assez bavard.» Plus que tout, il faut aussi compter avec une bonne dose de tendresse. «Je n'ai plus l'âge pour les choses du sexe. Moi, je milite pour le retour du blottissement. C'est la vieillure qui se fait sentir.» Roland Tolmatchoff n'emploie jamais le mot vieillesse. «Dans vieillesse il y a «SS». Et cela me rappelle trop de mauvais souvenirs.» Tribune de Genève du 25 mars 2005 Auteur : Emmanuel Grandjean http://www.ordiecole.com/tolmatchoff_20020426.pdf http://www.ordiecole.com/tolmatchoff.mht _________________________________________________________________________________________________________ http://www.ordiecole.com/tolmatchoff.txt