John Steinbeck : Le Règne éphémère de Pépin IV John Steinbeck, prix Nobel de littérature en 1962 est bien connu pour ses romans à caractère " social ", Des souris et des hommes, Tortilla Flat, ou Les raisins de la colère, sur la Grande Dépression de 1929. Il est par contre bien moins réputé pour sa veine comique où s'illustrèrent aux USA Mark Twain et Ernest Hemingway. Le règne éphémère de Pépin IV fut à l'origine publié en feuilleton par Le Figaro littéraire en 1954 comme le témoignage d'un Yankee lambda sur la vie politique française de la IVe République. Tout y passe : les querelles pour les postes ministériels, les lobbies, le marchand d'art homosexuel de la rive droite, les syndicats, les monarchistes, les partis etc. On se croirait dans la page 2 du Canard Enchaîné mais romancée avec un rythme endiablé. Entre les lignes se dessine le portrait de l'Amérique, une Amérique beaucoup plus socialiste qu'on ne le pense avec ses syndicats, ses congés payés, ses fonds de pension, ses associations, ses avocats. France et États-Unis d'Amérique sont résumés là en un peu plus de 150 pages avec une actualité et une acuité confondantes. Libre à vous de mettre des noms sur ces personnages d'il y a plus de quarante ans, d'y lire l'échec annoncé du projet gaulliste (le Président arbitre au-dessus des partis ; quelle calembredaine). Mais surtout évitez la critique analytique, la propédeutique psychologique. Ce roman est très drôle et cela suffit pour qu'on le lise. N'est-ce pas ? Guillaume Lagree. http://oeil.electrique.free.fr/chronique.php?numero=4&articleid=64&rubrique=4livres _______________________________________________________________________________ EXTRAIT "Comme pour célébrer le retour du roi, l'été glissait doucement sur la France, chaud mais pas torride, frais mais pas froid (...) Le froment graina en épis pleins et jaunes. Le beurre tirait d'une herbe de choix une suavité céleste. Les truffes se pressaient en foule sous terre. Les oies se gavaient toutes seules avec bonheur jusqu'à presque faire éclater leur foie. Les cultivateurs se plaignaient, comme il se doit, mais leurs plaintes mêmes avaient un accent d'allégresse. Des flots de touristes arrivèrent de l'autre côté des mers et tous, sans exception, étaient riches, et tous étaient généreux, si bien que - croyez-le si vous voulez - on vit sourire les porteurs. Les chauffeurs de taxi maugréaient avec bonne humeur et il y en eut un ou deux pour dire que peut-être, la ruine ne serait pas pour cette année. Un aveu qu'ils aimeraient autant qu'on ne répétât pas. Et les groupes politiques, désormais solidement enracinés au Conseil privé ? Même eux connurent une période faste. Les chrétiens-chrétiens voyaient les églises pleines. Les athéistes-chrétiens les voyaient vides. Les socialistes rédigeaient joyeusement pour la France une Constitution de leur cru. Les communistes étaient très occupés à s'expliquer les uns aux autres cette déviation à la ligne du parti, qui semblait placer le pouvoir entre les mains du peuple - subtilité qu'on devrait plus tard éclaircir et exploiter. D'ailleurs, la direction collégiale du Kremlin avait non seulement félicité le roi mais aussi offert un prêt formidable. Alexis Kroupov, dans un article de la Pravda, prouva surabondamment que Lénine avait prévu ce changement de la part des Français et l'avait approuvé comme un pas de plus vers la socialisation définitive. Cette explication obligea les communistes français à ne pas se contenter de tolérer la Monarchie mais à la soutenir d'une manière positive. La Ligue des non-payeurs d'impôts s'endormit dans un bonheur béat puisque les emprunts à l'Amérique et à la Russie rendaient inutiles tout autre recouvrement. Quelques pessimistes avancèrent que le jour du règlement des comptes viendrait mais on se moqua d'eux, on les traita de prophètes de malheur, et des caricatures, dans toute la presse française, firent d'eux la risée du public. " ________________________________________________________________________________________ http://www.ordiecole.com/steinbeck_pepin.txt