Aperçu de l'Histoire d'Egypte, pages 189 et suivantes

 auteur : Mariette Bey  (1872)

La pierre de Rosette

"Découverte le 19 juillet 1799 par des soldats français qui creusaient un retranchement près d'une redoute située à Rosette, la pierre qui porte ce nom a joué le plus grand rôle dans l'archéologie égyptienne. Sur la face principale sont gravée trois inscriptions. Les deux premières sont en langue égyptienne et écrites dans les deux écritures qui avaient cours à cette époque. L'une est en écriture hiéroglyphique réservée aux prêtres ; elle ne compte plus que 14 lignes tronquées par la brisure de la pierre. L'autre est en une écriture cursive appliquée principalement aux usages du peuple et comprise par lui : celle-ci offre 32 lignes de texte. Enfin, la troisième inscription de la stèle est en langue grecque et comprend 54 lignes. C'est dans cette dernière partie que réside l'intérêt du monument trouvé à Rosette. Il résulte, en effet, de l'interprétation du texte grec de la stèle que ce texte n'est qu'une version de l'original transcrit plus haut dans les deux écritures égyptiennes. La Pierre de Rosette nous donne donc, dans une langue parfaitement connue (le grec) la traduction d'un texte conçu dans une autre langue encore ignorée au moment où la stèle a été découverte. Qui ne voit l'utilité de cette mention? Remonter du connu à l'inconnu n'est pas une opération en dehors des moyens d'une critique prudente, et déjà l'on devine que si la Pierre de Rosette a acquis dans la science la célébrité dont elle jouit aujourd'hui, c'est qu'elle a fourni la vraie clef de cette mystérieuse écriture dont l'Égypte a si longtemps gardé le secret. Il ne faudrait pas croire cependant que le déchiffrement des hiéroglyphes au moyen de la Pierre de Rosette ait été obtenu du premier coup et sans tâtonnements. Bien au contraire, les savants s'y essayèrent sans succès pendant 20 ans. Enfin, Champollion parut. Jusqu'à lui, on avait cru que chacune des lettres qui composent l'écriture hiéroglyphique était un symbole, c'est à dire que, dans une seule de ces lettres était exprimée une idée complète. Le mérite de Champollion a été de prouver qu'au contraire l'écriture égyptienne contient des signes qui expriment véritablement des sons. En d'autres termes qu'elle est alphabétique. Il remarqua, par exemple, que partout où dans le texte grec de Rosette se trouve le nom propre Ptolémée, on rencontre à l'endroit correspondant du texte égyptien un certain nombre de signes enfermés dans un encadrement elliptique. Il en conclut : 1º, que les noms des rois étaient dans le système hiéroglyphique signalés à l'attention par une sorte d'écusson qu'il appela cartouche : 2º, que les signes contenus dan cet écusson devaient être lettre pour lettre le nom de Ptolémée. Déjà donc en supposant les voyelles omises, Champollion était en possession de cinq lettres : P, T, L, M, S. D'un autre côté, Champollion savait, d'après une seconde inscription grecque gravée sur un obélisque de Philae, qu’un cartouche hiéroglyphique visible sur cet obélisque devait être celui de Cléopâtre. Si sa première lecture était juste, le P, le L, et le T, de Ptolémée devaient se retrouver dans le second nom propre ; mais en même temps ce second nom propre fournissait un K et un R nouveaux. Enfin, appliqué à d'autres cartouches, l'alphabet encore très imparfait révélé à Champollion par les noms de Cléopâtre et de Ptolémée le mit en possession d'à peu près toutes les autres consonnes. En ce qui concerne la prononciation des signes hiéroglyphiques, Champollion n'avait donc plus à hésiter, et dès le jour où cette constatation eut lieu, il pu certifier qu'il était en possession de l'alphabet égyptien. Mais restait la langue ; car prononcer des mots n'est rien si l'on ne sait pas ce que ces mots veulent dire. Ici le génie de Champollion se donna libre cours. Il s'aperçut en effet que son alphabet tiré des noms propres et appliqué aux mots de la langue donnait tout simplement du copte. Or, le copte à son tour est une langue qui, sans être aussi explorée que le grec, n'en était pas moins depuis longtemps accessible. Cette fois le voile était donc complètement levé. La langue égyptienne n'est que du copte écrit en hiéroglyphes ; ou, plus exactement, le copte est la langue des anciens pharaons,  écrite en lettres grecques. Le reste se devine. D'indices en indices, Champollion procéda véritablement du connu à l'inconnu, et bientôt l'illustre fondateur de l'égyptologie pu poser les fondements de cette belle science qui a pour objet l'interprétation des hiéroglyphes. Telle est l’histoire de la pierre de Rosette."

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