Procès Rosenberg: les aveux du frère d'Ethel Il reconnaît avoir menti sur les activités de sa sœur, exécutée pour espionnage à New York en 1953. Par FABRICE ROUSSELOT New York de notre correspondant Le 19 juin 1953, le jour de l'exécution sur la chaise électrique de Julius et d'Ethel Rosenberg au pénitencier de Sing Sing à New York, le FBI avait installé une ligne de téléphone directe avec la prison. Jusqu'au dernier moment, le bureau fédéral a espéré que Julius Rosenberg avouerait qu'il était un espion soviétique, afin d'échapper à la peine capitale. Les agents avaient rédigé une liste de questions à lui poser. Parmi les premières figurait celle-ci: “Votre femme était-elle au courant de vos activités?” Hystérie. Cinquante ans après les faits (lire ci-dessous), “l'affaire Rosenberg” reste l'un des épisodes les plus controversés de l'histoire moderne américaine. Exécutés pour espionnage, et notamment accusés d'avoir transmis les secrets de la bombe atomique à l'URSS, les Rosenberg sont devenus pour certains historiens le symbole de l'hystérie anticommuniste qui a agité les Etats-Unis durant la guerre froide et de la chasse aux sorcières menée par le sénateur John McCarthy. Aujourd'hui, un nouveau témoignage vient faire rebondir une saga qui a déjà nourri de nombreux ouvrages antagonistes outre-Atlantique. Dans un livre intitulé The Brother, et une interview au magazine télévisé 60 Minutes diffusée cette semaine, le frère d'Ethel Rosenberg, David Greenglass, qui avait décidé de collaborer avec le gouvernement, révèle qu'il a menti sous serment lors du procès de mars 1951. Ayant reconnu ses activités d'espionnage et pour éviter d'impliquer son épouse, Greenglass avait donné le nom de Julius au FBI et assuré qu'Ethel avait retranscrit des notes manuscrites destinées à Moscou sur une machine à écrire Remington. L'affirmation avait été présentée par le procureur comme l'élément à charge le plus convaincant contre Ethel et son mari, pour réclamer la peine de mort. Traqué par le journaliste du New York Times Sam Roberts depuis deux décennies puis par CBS, Greenglass, qui a changé d'identité après avoir été libéré de prison en 1960, reconnaît désormais ne pas se souvenir. “Honnêtement, je ne sais pas qui a tapé ces notes à la machine, explique-t-il face à la caméra de CBS, et je ne peux même pas dire à ce jour si ces notes ont réellement été transcrites.” Avant d'ajouter: “En tant qu'espion qui a livré sa famille, je ne m'en fais pas... Je dors très bien la nuit.” Recruteur. Cette nouvelle version nourrit donc les arguments de ceux qui estiment que les Rosenberg ont été condamnés sans que le gouvernement ait de preuves suffisantes contre eux. Aujourd'hui, la culpabilité de Julius Rosenberg ne fait guère de doutes. En 1995, des documents baptisés “The Venona Documents” - en majorité, des décryptages de messages du KGB - ont montré que l'ingénieur et militant communiste figurait sur la liste des espions des services soviétiques. Il aurait notamment servi de recruteur à l'URSS et se serait alloué les services de Greenglass, parce qu'il avait travaillé un moment à Los Alamos, où les scientifiques américains ont conçu la bombe atomique dans le cadre du “Manhattan Project”. Mais, à l'époque, les éléments d'accusation étaient bien faibles et, surtout, ne concernaient pas Ethel. “Depuis les "Venona Documents", le consensus au sein des historiens était que Julius était bien coupable d'espionnage industriel, que le gouvernement n'avait rien contre Ethel et qu'il n'existait de toute façon pas assez de preuves pour les exécuter, assure Ellen Wolf Schrecker, l'une des spécialistes américaines des Rosenberg, professeur à Yeshiva University. Avec la confirmation de Greenglass, on peut dire que le gouvernement a en fait arrêté Ethel pour forcer son mari à admettre ses activités. Finalement, elle a certainement été exécutée alors que les autorités ne possédaient rien de concret contre elle.” Aucune excuse. Les révélations de Greenglass vont plus loin, suggérant une véritable manipulation politique lors du procès par les partisans de McCarthy. Selon le frère d'Ethel, c'est l'assistant du procureur, Roy Cohn, amené à devenir l'un des collaborateurs du sénateur, qui l'a ainsi “encouragé à mentir”. L'exécution des Rosenberg avait été utilisée par McCarthy pour justifier ses rafles et autres arrestations. “Parce qu'ils ont fini sur la chaise électrique, McCarthy a longtemps cité le cas Rosenberg pour montrer comment les communistes étaient prétendument dangereux et des ennemis de la nation, poursuit Ellen Wolf Schrecker, sa campagne n'aurait peut-être pas eu un tel impact sans la mort des Rosenberg.” Difficile de dire si ces nouveaux éléments feront rouvrir le dossier Rosenberg. Légalement, seuls les deux fils de Julius et d'Ethel, toujours vivants, pourraient le réclamer. Mais ils ont pour l'instant choisi de garder le silence. Dans son interview à CBS, Greenglass assure que, s'il venait à rencontrer ses neveux, il ne formulerait aucune excuse pour son rôle dans l'exécution de leurs parents. “C'est la stupidité qui les a tués”, affirme-t-il, en estimant que les Rosenberg auraient dû collaborer avec les autorités.