Evénement

La Nouvelle-Orléans : une ville en cuvette lâchée par ses digues
Edifiée sous le niveau des eaux du lac et de l'océan, La Nouvelle-Orléans n'a pas résisté.

Par Denis DELBECQ
jeudi 01 septembre 2005

La Nouvelle-Orléans fait désormais partie du golfe du Mexique. Privée de ses défenses contre les eaux du lac Pontchartrain et du Mississippi, la ville s'est retrouvée connectée à l'océan Atlantique. Ses célèbres tombes, érigées depuis des lustres pour survivre aux inondations, sont sous les eaux pour de longues semaines. Géographiquement, La Nouvelle-Orléans a tout du cauchemar pour gestionnaire des risques naturels.

Ligne Maginot.
Erigée dans une cuvette, la ville se trouve sous le niveau de la mer, mais aussi sous le niveau du lac Pontchartrain qui la borde au nord. Situation connue dès 1718, année de la fondation de La Nouvelle-Orléans par le Français Jean-Baptiste Le Moyne de Bienville. Dès 1725, une première digue avait été érigée le long du Mississippi, qui draine plus de huit mille mètres cubes à la seconde (quatre fois plus en crue). Depuis, les ingénieurs n'ont cessé de dresser de nouveaux ouvrages contre les eaux des lacs voisins et du fleuve, notamment depuis les grandes inondations que celui-ci provoqua en 1927.
Ces dernières années, l'entretien de cette ligne Maginot avait été délaissé, faute de subsides.

Comme l'avait annoncé le maire de La Nouvelle-Orléans à la veille du passage de Katrina, les centaines de kilomètres de digues ont cédé face à la puissance des eaux déplacées par le cyclone, en dépit du bref optimisme suscité un temps par un changement de trajectoire du monstre. La folie des hommes, qui les a poussés à vouloir canaliser coûte que coûte le Mississippi sur des dizaines de kilomètres, a en outre fragilisé le seul et frêle rempart naturel que la topographie locale avait pu former : pas moins de cinq mille kilomètres carrés de marais ont disparu depuis 1930. Pourtant, quelques kilomètres de marigots font plus contre les inondations que des barrières artificielles de plusieurs mètres de haut, tout comme les mangroves protégeaient autrefois la Thaïlande des tsunamis. Mais là encore, en dépit de nombreuses études et simulations scientifiques aux conclusions sans appel, la facture d'une réhabilitation des marais de Louisiane, plus de 10 milliards de dollars, avait calmé les responsables les plus zélés.

Vidange.
Les digues ayant cédé, le lac Pontchartrain s'est déversé directement dans La Nouvelle-Orléans. Alors qu'il est désormais question de l'abandonner, comme les chercheurs d'or délaissaient leurs villes éphémères une fois les filons épuisés, les autorités ne savent pas par quoi commencer. Pour retrouver ce qui reste du berceau du jazz, il faudra impérativement redresser les remparts abattus par les flots. Puis remettre en état les 22 stations de pompage qui ont cessé de fonctionner. Et pomper durant de longues semaines. Faute d'avoir pu réparer à temps les digues, à l'aide de sacs de sable et de blocs de béton, le déversement du lac Pontchartrain dans La Nouvelle-Orléans n'a cessé hier soir qu'une fois les niveaux équilibrés... comme un banal problème de vidange de baignoire.

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