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lundi 21 juin 2004

Devedjian : « Le prix des CD et des téléchargements doit baisser »

Baissez vos prix si vous voulez enrayer votre déclin : voilà, en substance, l'avertissement que lance le ministre de l'Industrie aux professionnels du disque. Dans la foulée, il enterre toute perspective de baisse de la TVA. Interview.

En ce jour de Fête de la musique, Patrick Devedjian, le ministre de l'Industrie, prend les industriels du disque bille en tête. Arrêtez de pleurnicher sur la piraterie sur Internet, faites des efforts sur les prix, investissez dans les nouvelles technologies et multipliez les offres commerciales, alors vous retrouverez vos clients, leur dit-il tout de go dans nos colonnes. Au passage, Patrick Devedjian, qui « chatera » ce soir entre 18 h 30 et 19 h 15 sur le thème de la musique (www.promusicfrance.com), renvoie aux calendes grecques une baisse de la TVA sur le disque.

L'industrie du disque multiplie actuellement les mises en garde contre la piraterie sur Internet qui, selon elle, met en grave danger ce secteur économique ainsi que la création artistique. Partagez-vous cette analyse ?
Patrick Devedjian.
La piraterie est un drame pour l'industrie musicale, et il faut la combattre de trois manières : en sensibilisant sur les risques qui lui sont liés, en poursuivant les pirates professionnels et en développant l'offre légale. Mais il ne faut pas confondre les effets et les causes, et je pense que la responsabilité des industriels est également engagée dans cette affaire.

Et pourquoi cela ?
J'ai mené une enquête pour savoir pourquoi les jeunes piratent. La réponse est limpide : les disques sont trop chers, et certains titres ne sont plus disponibles que sur Internet. Des tarifs trop élevés, une offre de plus en plus réduite et une surface de vente de plus en plus faible ; à cela s'ajoute un produit de substitution, le DVD qui cannibalise le CD. Voilà où est le problème de fond.

A vous entendre, les professionnels du disque et de la musique seraient en partie responsables de leurs malheurs ?
Les responsables du secteur considèrent depuis des années qu'il est plus profitable pour eux de fabriquer des vedettes pour vendre des disques. En effet, mieux vaut promouvoir un inconnu dont on fait une vedette à grands coups de marketing et de radio et de télévision. Cela ne prend guère plus de 8 % de marge, alors qu'un Michel Berger méritait 22 %. Résultat : les maisons de disques ont préféré faire la promotion d'interprètes plutôt que d' auteurs-compositeurs. A tel point que le président d' Universal, Pascal Nègre, disait il y a quelques années : « Si Jim Morrison ou Jacques Brel entraient aujourd'hui dans mon bureau... eh bien je ne signerais pas avec eux ! » Cela n'a strictement rien à voir avec Internet et la piraterie ! Voilà pourquoi je pose la question : qui fait mal son métier dans cette affaire ? D'autant que, dans le même temps, les industriels ont réduit drastiquement l'offre. Même en matière de musique classique (un secteur pourtant non piraté), on ne trouve plus aujourd'hui le choix fantastique qu'on avait à l'époque du disque vinyle. Vous trouvez cela normal, vous ?

Alors que conseillez-vous à l'industrie musicale ?
Elle doit être beaucoup plus dynamique, plus innovante, et considérer les nouvelles technologies comme une chance et non une menace.

C'est-à-dire ?
Prenez les téléchargements de sonneries musicales pour portable : cette activité remporte un vrai succès et pèsera bientôt 12 % du chiffre d'affaires de l'industrie musicale. Les marges grimpent jusqu'à 55 % ! Ce qui montre bien qu'on peut gagner de l'argent aujourd'hui dans le secteur musical en s'adaptant aux nouveaux outils et aux nouveaux modes de consommation. Autre exemple, le baladeur numérique et son corollaire, le téléchargement légal et payant sur Internet : il se développe à très grande vitesse, mais je constate que les prix de vente en ligne sont encore trop élevés. De 0,75 à 0,99 euros la chanson, c'est presque aussi élevé que le prix d'un CD. Or, je pense que le vrai moyen de lutter contre la piraterie, c'est d'offrir un choix diversifié de musique en ligne légale à un prix raisonnable.

Qu'est-ce qu'un prix raisonnable ?
C'est celui qui, compte tenu des risques à la fois de virus et de poursuites judiciaires, fait arbitrer le consommateur en faveur du téléchargement légal.

Que répondez-vous à ceux qui vous réclament une baisse de la TVA sur le disque ?
Réclamer la baisse de la TVA sur le disque n'équivaut-il pas à mener une bataille désormais d'arrière-garde ... Le CD est une technologie dépassée, se battre pour lui paraît un combat perdu d'avance. Au lieu de s'arc-bouter sur la défense du CD, les industriels feraient mieux d'investir sur les nouvelles technologies... D'autant que je n'ai pas oublié que, lorsque la TVA est passée jadis de 33 % à 18,6 %, les prix payés par le consommateur, eux, n'ont baissé que de 8 %.

Dans une économie ouverte où les prix sont libres, comment pouvez-vous faire baisser les prix sur le téléchargement comme sur les CD ?
Il faut faire jouer la concurrence, ce qui est loin d'être toujours le cas. L'industrie du disque est trop concentrée entre les mains de quelques multinationales. Le gouvernement français est bien décidé à favoriser la concurrence. L'Etat dispose de moyens d'investigation pour vérifier que le marché fonctionne loyalement. Nous les utiliserons. Je suis pour le marché, mais je ne l'aborde pas de manière angélique : quand les prix sont trop élevés, c'est généralement signe que la concurrence ne joue pas assez. On l'a vu sur le prix des SMS et des mobiles.

Ne craignez-vous pas de désespérer l'industrie du disque ?
Le ministère de l'Industrie fait la promotion des nouvelles technologies. J'invite donc les éditeurs de musique à utiliser au maximum ces nouvelles technologies qui permettent de produire et de distribuer la musique à un faible coût. A partir de ce moment, les amateurs n'auront plus besoin de pirater les chansons.

Propos recueillis par Jean-Marc Plantade