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Conjointement à la mécanisation de la production des ébauches* et à l’essor
des premières grandes manufactures* d’horlogerie, plusieurs ateliers spécialisés ou
de modestes manufactures se créent au fil de l’eau. L’horlogerie devient le moteur
principal de l’industrialisation du Vallon
et de l’agglomération biennoise. Chaque
village est bientôt doté de son usine. En
1879, un journal spécialisé, le Journal
suisse d’horlogerie, consacre une série
d’articles à l’essor de l’industrie juras-
sienne : Bienne est reliée aux vallées
supérieures du Jura par la route si pit-
toresque de la Reuchenette, complétée
depuis environ cinq ans par une voie
ferrée qui, en moins d’une heure, nous
transportera au hameau de La Heutte ;
là se trouve la première fabrique d’hor-
logerie, celle de MM. Amann et Béguelin, mue par une force hydraulique et occu-
pant actuellement cinquante ouvriers ; cet établissement travaille sur des calibres*
spéciaux, basés sur le principe de l’interchangeabilité*
74
.
La fabrique Amann & Béguelin à La Heutte (1878)
Les archives cantonales ne conservent aucune trace de la création de cette
fabrique
75
qui a remplacé le Moulin Bendit à quelques pas d’un très ancien pont
de pierre, aujourd’hui protégé. En 1878, la fabrique de La Heutte est exploitée
par Berthold Amann
76
, un ancien comptable du comptoir horloger Didisheim à
St-Imier. Il est associé à un certain Béguelin. Dix ans plus tard, Amann se retrouve
seul et, en 1889, il dépose sa propre marque de fabrique : Urania
77
.
En décembre de la même année, une grosse crue endommage lourdement ses
installations hydrauliques qui doivent être entièrement reconstruites. Amann veut
L’horlogerie conquiert l’ensemble
du Vallon de St-Imier
74
Journal Suisse d’Horlogerie, 4
e
année, 1879, p. 5.
75
Le journal Der Bund du 4 décembre 1873 publie l’annonce d’une vente aux enchères de la fabrique de la
Heutte pour le 13 décembre 1873. La fabrique, décrite comme toute récente, est mise en vente pour cause
de maladie. L’annonce fait référence à LS.A. Bourquin, fabricant d’horlogerie et à Ulysse A. Bourquin.
(Der Bund, 4 décembre 1873 ; coll. part. René Rimaz, Sonceboz).
76
Cf. l’article nécrologique du Journal du Jura du 7 janvier 1897.
77
K.H. Pritchard, Swiss timepiece makers, 1775-1975 ; p. A-38 : Amann B., La Heutte ; p. G-59-60 :
Goschler & Cie, Bienne, La Heutte. USA 1997 ; éd. française : Neuchâtel, A. Simonin, 1997.
Publicité pour Urania Watch Co. dont la fabrique
est implantée à La Heutte (tiré de Kathleen
H. Pritchard, Swiss timepiece makers, 1775-1975,
Neuchâtel, A. Simonin, 1997, p. G-60).

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en profiter pour augmenter sa force
motrice. Il charge un géomètre de
Nidau d’établir un projet de barrage
qu’il souhaite implanter en face de
l’usine. Une nouvelle turbine
78
, logée
sur la rive gauche de la Suze, fourni-
rait la force motrice acheminée par
un câble télédynamique* tiré par-des-
sus la rivière. Par crainte des inonda-
tions, plusieurs riverains font opposi-
tion, et l’affaire traîne en longueur.
En 1895, Berthold Amann, atteint
dans sa santé, s’associe aux frères
Goschler, patrons d’un des plus
anciens comptoirs horlogers de Bienne, et leur cède sa marque de fabrique
79
.
En prenant le contrôle de l’entreprise Amann, les frères Goschler disposent
désormais d’une usine hydraulique pour fabriquer boîtes et mouvements. Qu’est-
ce qui les a incités à délocaliser leur production à La Heutte ? Sa mécanisation,
simplement ? Ou les difficultés à trouver ou à construire une fabrique dans l’ag-
glomération biennoise ? On sait en tout cas que Bienne connaît à ce moment-là de
sérieux problèmes d’approvisionnement énergétique.
Dès 1895, l’usine de La Heutte tourne exclusivement pour les frères Goschler qui
font enregistrer leur nouvelle marque de fabrique sous le nom d’Urania Watch Co.
Berthold Amann meurt le 6 janvier 1897 et, trois mois plus tard, ses héritiers
vendent la fabrique aux Goschler. Ceux-ci profitent du changement de propriétai-
res pour déposer officiellement une demande d’Autorisation pour l’exploitation
industrielle d’un cours d’eau du domaine public, une autorisation qui semble leur
avoir fait défaut jusque-là. Ils espèrent ainsi obtenir rapidement l’agrément des
autorités pour entreprendre les travaux projetés du temps d’Amann, toujours blo-
qués par les oppositions.
Sollicité par les nouveaux propriétaires, le tribunal de district rend enfin son
verdict et refuse la construction d’un barrage au village. Dès lors, les deux exploi-
tants de la force hydraulique à La Heutte, la scierie Nigst et la fabrique d’horloge-
rie, se voient contraints de collaborer. Après discussion, le propriétaire de la scierie
accepte de partager sa prise d’eau avec les Goschler, qui pourront alors disposer
d’un nouveau canal de dérivation* et rehausser leur chute. La puissance de leurs
installations en sort renforcée.
L’horlogerie conquiert l’ensemble du Vallon de St-Imier
La fabrique de B. Amann et les ouvriers vers 1890
(photo tirée de Kurt Trösch, Si La Heutte m’était conté,
La Heutte, Commune municipale, 1983, p. 4).
78
Dressé en août 1893, le plan du barrage projeté indique l’usage d’une turbine implantée dans les locaux
même de la fabrique. Cf. Project zur Nutzbarmachung von Wasserkräften in La Heutte. Concession
51G13 (Archives OEHE, Berne). Cette turbine a-t-elle été installée dès les débuts de la fabrique ? Les
documents à disposition sont muets sur ce point.
79
Le comptoir Goschler & Cie a été créé en 1830. L’entreprise perdure pendant près d’un siècle, jusqu’à la
crise des années 1930, puis disparaît. Cf. K.H. Pritchard, Swiss timepiece makers, op. cit. ; cf. également
ci-après Bienne et son agglomération dopées par l’horlogerie.

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124
Un barrage de 18 m de large, comprenant une partie fixe et trois vannes mobi-
les, est construit en amont du village. Il remplace l’ancienne digue de la scierie ;
celle-ci poursuit l’exploitation de sa roue hydraulique traditionnelle.
En juillet 1898, le Conseil d’Etat délivre une Autorisation pour l’utilisation
industrielle d’un cours d’eau du domaine public à la fabrique Goschler, lui concé-
dant une chute de 2,60 m et un débit de
1’050 l/s. La puissance installée* s’élève
à 26 CV.
Pendant la Première Guerre mondiale,
la fabrique est mise au service des belligé-
rants et la production de munitions rem-
place désormais celle des garde-temps.
Après les difficultés de l’immédiat
après-guerre et le bref essor des années
1920, la profonde crise des années 1930
lui sera fatale. En liquidation, la fabrique
est reprise en 1938 par un certain Weber,
qui la transforme en une usine de laminage d’aciers de haute précision.
Les installations hydrauliques de l’entreprise W. Weber & Cie sont rénovées
et agrandies à plusieurs reprises jusqu’à la fin du XX
e
siècle ; notamment en 1947,
date à laquelle on procède au remplacement de la turbine
80
.
Les usines du XIX
e
siècle
Plan 14 : Les différents projets d’extension de la force motrice de
la fabrique d’horlogerie Goschler & Cie établis entre 1893 et 1898
(extrait de Project zur Nutzbarmachung von Wasserkräften in La
Heutte, plan du géomètre Suter de Nidau du 21 août 1893, éch.
1 :1000 , Archives OEHE, Berne, concession 51G13).
Le personnel de la fabrique Goschler & Cie en 1914
(Kurt Trösch, Si La Heutte m’était conté, op. cit., p. 7).
A Turbine des origines de la fabrique
B Projet de barrage sur la Suze en
face de l’usine avec turbine sur la
rive gauche, transport de la force
par câble télédynamique
C Projet de barrage sur la Suze en
face de l’usine avec turbine sur la
rive droite, transport de la force
par câble télédynamique
D Implantation d’une centrale
derrière l’usine, création d’un
canal de fuite et élargissement
du canal d’amenée (projet
autorisé par le gouvernement
en date du 6 juillet 1898)
80
Cf. chap. VI, Les usiniers et leurs installations.

Page 4
125
Aujourd’hui encore, l’usine de La Heutte
assure une production d’électricité grâce à
l’énergie motrice de la Suze, sans cesse renouve-
lée. Ses propriétaires participent ainsi à l’effort
des trop rares usiniers indépendants qui pour-
suivent l’exploitation écologique et durable de
nos ressources énergétiques. L’administration
cantonale vient de renouveler la concession après assainissement de la prise d’eau
et création d’une échelle à poissons, conformément aux dernières directives en
matière de protection des eaux et de la faune.
Les fabriques de Cormoret : la fabrique d’horlogerie des frères Favre (1880) et
le laminoir Matthey (1890)
Entre 1878 et 1890, deux sites
hydrauliques de Cormoret sont
repris par des industriels. Le pre-
mier appartenait à un descendant
de la famille Favre, une famille qui
a toujours compté de nombreux
artisans dans ses rangs. A la fin
du XVIII
e
siècle, par exemple, les
Favre exploitent deux moulins :
le Moulin dessous le village, une
usine très importante comportant
5 roues hydrauliques
81
, et le Petit
L’horlogerie conquiert l’ensemble du Vallon de St-Imier
Pour pouvoir renouveler sa concession
à la fin des années 1990, l’entreprise
Weber & Cie a dû construire une échelle à
poissons près de sa prise d’eau (été 1999).
L’usine de laminage de précision a vendu ses installations
hydrauliques à un amateur de microcentrale, H. Peter, de La
Heutte, en octobre 2003 qui poursuit aujourd’hui l’exploitation
des eaux de la Suze commencée ici à la fin du XVI
e
s.
81
Cf. Plan cadastral de Cormoret daté de 1853 (Archives du cadastre de l’Arrondissement de St-Imier,
St-Imier).
La manufacture d’horlogerie Favre Frères vers 1900
(Frank Vaucher, Cormoret. Un village raconte son histoire,
Cormoret, s.n., 1994, p. 126).

Page 5
126
Torrent, plus modeste,
sur la Raissette, une
source qui s’écoule au
centre du village
82
.
Le second site, celui
du Haut Moulin, a
repris du service avec
la création, vers 1876,
d’une fabrique de
chaux et ciment, bien
vite abandonnée. Puis
la fabrique sera adaptée
pour accueillir un lami-
noir de bandes d’acier.
Resté longtemps
à l’écart de l’efferves-
cence horlogère, Cormoret est un village essentiellement agricole jusqu’à la fin
des années 1850. En 1859, un premier comptoir est créé par des horlogers issus de
l’une des branches de la famille Favre. Désireux de mécaniser leur production
83
, ils
rachètent le Moulin dessous le village en février 1878, le démolissent et construi-
sent une fabrique à sa place. Un permis de construction leur est délivré par le préfet
en mars 1880, mais il semble bien que la fabrique était déjà sous toit depuis plu-
sieurs mois… La création de cette fabrique d’horlogerie avait été souhaitée depuis
plusieurs années par les familles d’horlogers du village qui désiraient trouver du
travail sur place, soit à l’usine, soit à domicile.
Ingénieux, inventeurs, les frères Favre furent parmi les premiers à produire des
montres de poche à remontoir au pendant*, dont la mise à l’heure s’effectuait en
tirant la couronne
84
.
La fabrique Favre est implantée sur la rive droite du canal de l’ancien moulin
jouxtant la frontière communale avec Courtelary. Alimentée par les eaux de la Suze,
Les usines du XIX
e
siècle
82
Selon le partage successoral du 19 août 1828, Jean Henri Favre, maître meunier, reçoit le Moulin de
la Raissette, tandis que Charles Henri Favre reçoit le Moulin dessous le village, qui comprend outre la
meunerie, scierie, ribe, battoir, moulin à écorce. L’acte précise certaines dispositions particulières : Il est
expressément réservé que les sieurs Charles Henri et Jean Henri Favre propriétaires des deux moulins
qui figurent au présent partage, ne pourront vendre ceux-ci ni les accessoires de ces moulins, sans un
consentement de famille, attendu que ce n’est qu’à raison de leur état de meunier que ces usines ont été
attribuées à chacun d’eux, pour une valeur aussi modique que celle que comporte leur appréciation au
présent (Raissette, 1’600 francs ; Bas du Village, 8’800 francs) (Registre foncier du district de Courtelary,
PJ Cormoret 6/157 du 19 août 1828).
83
Jules Constant Favre, horloger à La Neuveville, participe à la création de Favre Frères, Cormoret - La
Neuveville. La Feuille officielle suisse du commerce mentionne que Jules Constant (à La Neuveville),
Louis Constant, Alfred, Eugène, Henri (de et à Cormoret) se sont associés à Charles Albert Favre pour
fabriquer mécaniquement la montre (FOSC, 1883, p. 302 et 678). Par la suite, un des chefs de la fabri-
que, William Favre (1868-1939), sera maire de Cormoret de 1907 à 1921.
84
Frank Vaucher, Cormoret, op. cit., p. 127.
Les premiers ouvriers et ouvrières des frères Favre (Frank Vaucher,
Cormoret, op. cit., p. 127).

Page 6
127
à raison d’environ 600 l/s, la chute de 2 m produit une
force motrice de 12 CV. Les Favre font tourner leur
usine en exploitant une roue de côté* : l’ont-ils récupé-
rée des installations du moulin ? Au début des années
1960, on pouvait encore observer une roue de ce type
nichée dans une petite bâtisse accolée à la vieille fabri-
que. On avait simplement remplacé les augets de bois
par de la tôle. La survivance d’une telle installation
s’explique peut-être par la mise en sommeil de la fabri-
que au début des années 1920 après le revers de fortune
de ses dirigeants. Pendant la Seconde Guerre mondiale
elle entraînera encore un concasseur à grains pour l’ali-
mentation du bétail, puis les machines d’un fabricant
d’articles en bois. Dans les années 1950, le bâtiment
accueille les activités d’un mécanicien. A-t-il encore fait
usage de cette roue archaïque ? Nous ne le savons pas.
La concession est définitivement radiée par l’entreprise
Felma Machines SA en juin 1960
85
. Depuis, un gara-
giste s’est installé dans le bâtiment construit voici 125
ans et continue aujourd’hui d’y exercer son activité.
Le second site, celui du Haut Moulin de Cormoret, a également joué un rôle
important dans l’essor industriel du village, plus spécialement lorsque Charles
Edouard Matthey y a installé son laminoir en 1890.
L’horlogerie conquiert l’ensemble du Vallon de St-Imier
Publicité parue en 1896 (tirée de la
brochure Bienne 1896, Exposition
nationale suisse, Genève).
85
Concession 50G38 (Archives OEHE, Berne).
Cormoret, années 1960 : on pouvait encore y voir une roue de côté
métallique (Frank Vaucher, Cormoret, op. cit., p. 127).
Détail de la roue à aubes.
En 1907, la roue des Favre
fournissait une force motrice
moyenne de 12 CV.

Page 7
128
Lorsque Matthey déménage à Cormoret, sa famille et le Haut Moulin avaient
déjà une très longue histoire derrière eux. Le site avait été occupé par un moulin à
grains dès 1437. En 1765, le meunier Jean-Pierre Favre y exploitait deux moula-
ges*, chacun sa roue, et un battoir* avec sa roue
86
. Le prince-évêque lui concédait
alors la Suze depuis le Gros Torrent jusques au pont de Cormoret où commence
le cours d’eau du Moulin dessous le village, y compris un droit de pêche. En 1779,
son fils Abram, déjà propriétaire du Moulin dessous le village
87
, rachetait celui du
Haut laissé à l’aban-
don par son dernier
exploitant, un meunier
bernois, puis le démo-
lissait pour empêcher
l’arrivée d’un nouveau
concurrent au village.
Avec l’autorisation du
prince, Abram Favre
procédait à l’agrandis-
sement de sa propre
usine en récupérant
certaines installations
du moulin démoli.
Un siècle plus tard,
en 1876, deux Neuchâtelois du Val de Ruz, Gustave Coulin et Césaire Nicolin,
fabricants de chaux et ciment aux Convers, entreprenaient la construction d’une
Les usines du XIX
e
siècle
La manufacture des frères Favre est devenue atelier de mécanique auto (photo de 1987).
86
AAEB, B 161a, Livre des fiefs, vol. III ; p. 321.
87
Abram Favre a épousé la fille du meunier Belrichard de Courtelary, exploitant du Moulin dessous le vil-
lage de Cormoret. Abram prend la succession de son beau-père, puis rachète le moulin en 1767.
L’usine de laminage de Cormoret (avant 1900), avec Edouard Matthey, son
fondateur (Frank Vaucher, Cormoret, op. cit., p. 123).

Page 8
129
bâtisse à quelques mètres en amont des fondations du moulin démoli. Le bâtiment
renferme une usine servant à la fabrication de ciment et de chaux hydraulique, avec
les machines, turbines, mues par les eaux de la Suze. Ces machines […] ont une
force de 30 CV
88
.
La fabrique de chaux et ciment de Cormoret
ne sera jamais rentable et, après moult péripé-
ties, elle sera mise en vente par les créanciers
en 1887.
En mars 1890, Charles Edouard Matthey-
Henry (1850-1904), un lamineur neuchâtelois
89
installé depuis décembre 1884 dans le bâtiment
de la scierie du Bez, à Corgémont, doit quit-
ter les lieux et se porte acquéreur de l’ancienne
fabrique de ciment de Cormoret pour 14’500
francs. Sa mère, Augustine Matthey-Perret, le
cautionne. Charles Edouard déménage ses
machines à Cormoret, y dépose ses papiers en
mai 1891
90
, puis démarre sa production de laminés. La marche de l’entreprise ne
nous est pas connue.
Charles Edouard, gravement atteint dans sa santé, décède le 27 juillet 1904. Sa
seconde épouse, Elise-Alice Matthey-Morel (1856-1944), mère de cinq enfants en
bas âge, décide d’en poursuivre seule l’exploitation. La concession de 1908 crédite
la turbine de la fabrique d’une puissance nette de 13 CV ; curieusement, on décou-
vre qu’à cette époque l’entreprise ne paie aucune redevance hydraulique
91
.
En août 1917, Elise-Alice Matthey, âgée de 61 ans, vend l’usine à Emile
Schweingruber, un Bernois de Schwarzenburg, fabricant de spiraux à St-Imier. Une
année plus tard, le 10 septembre 1918, il la revend à Emile Walliser, un Bâlois de
Reigoldswil (BL).
Sitôt installé, Walliser la transforme de fond en comble pour en faire une usine de
décolletage* et se trouve immédiatement confronté à un manque de force motrice
et à l’irrégularité du débit de la Suze. Il tente à plusieurs reprises de doper ses ins-
L’horlogerie conquiert l’ensemble du Vallon de St-Imier
88
Cormoret, parcelle Walliser. Vente du 16 mars 1878 ; PJ 29/42. Registre foncier du district, Courtelary.
89
Charles Edouard Matthey-Henry, originaire du Locle et de La Brévine, troisième génération d’une longue
lignée de lamineurs qui ont exploité des usines au Locle (La Jaluse, fondée vers 1833-35), sur le Doubs
(La Roche, 1854-56) et à La Neuveville : Lamineries Matthey SA, fondée en 1901, encore en fonction
de nos jours. Cf. Notice historique sur les Lamineries Ed. Mathey fils S.A. à La Neuveville, non publiée,
rédigée par Henri Matthey (1905-1987), à la fin des années 1930 ; 170 ans de laminage ou l’histoire de six
générations de la famille Matthey. Plaquette publiée par l’entreprise pour le 100
e
anniversaire de l’usine
de La Neuveville. La Neuveville, Lamineries Matthey SA, 2001. Documents aimablement communiqués
par M. Edouard Matthey, président du conseil d’administration.
90
Cf. attestation du secrétaire communal de Cormoret datée du 6 juin 1932 (Archives privées de la famille
Matthey, La Neuveville).
91
Ce n’est qu’en 1952 que l’administration bernoise la taxe d’une redevance annuelle de 160 francs, cré-
ditant les installations d’une puissance brute de 40 CV. Concession 50G37 du 10 mars 1908 (Archives
OEHE, Berne).
Publicité de 1896 (tirée de la brochure
Bienne 1896, Exposition nationale suisse,
Genève).

Page 9
130
tallations, sans jamais vraiment y
parvenir et, après maints démêlés
avec les autorités et ses collègues
usiniers
92
, Walliser renonce à déve-
lopper sa propre force motrice et
se raccorde au réseau de la SEG.
L’entreprise de décolletage prend
le nom de Technos SA.
Après une ou deux vaines ten-
tatives de remise en état des instal-
lations hydrauliques par les deux
générations de Walliser qui ont
succédé à Emile, la concession est
radiée par décision administrative
le 27 mars 1996. L’entreprise a été
mise en faillite récemment.
Deux autres usines hydrauli-
ques vont jouer un rôle important dans le développement du village : d’une part,
l’Usine de produits alimentaires du Torrent
93
, née de la transformation du Moulin
du Gros Torrent dans les années 1880 ; d’autre part, la fabrique d’horlogerie cons-
truite par les autorités communales
94
en 1902, une particularité du Jura bernois
qui s’est développée au Vallon à partir de la construction de la fabrique commu-
nale de Sonvilier en 1883.
Création d’une fabrique d’horlogerie communale à Sonvilier (1883)
Aujourd’hui, le village de Sonvilier s’étire paisiblement le long de la route can-
tonale, à 800 mètres d’altitude. La Suze y est fort modeste et traverse le bas du
village, entièrement corsetée. Des sept moulins qu’elle animait au XVIII
e
siècle, une
véritable industrie meunière
95
, il ne subsiste que deux ou trois bâtiments, depuis
longtemps convertis en scierie
96
ou en maisons d’habitation.
L’implantation de l’horlogerie dans la contrée, au XVIII
e
siècle, a grandement
favorisé l’essor des villages, de Sonvilier en particulier. De nombreux artisans
viennent s’y installer et travaillent auprès d’horlogers à domicile ou dans leurs
modestes ateliers.
92
Cf. chap. VI, Les usiniers et leurs installations, La pérennité des installations, et chap. VII, La police des
eaux, Le style du président Junod.
93
Cf. chap. V, Résistance et adaptation de l’industrie hydraulique traditionnelle, Le Moulin du Gros Torrent
devient usine de produits alimentaires.
94
Cf. chap. IV, La Suze et l’électrification de la région, Mise en valeur de la chute du battoir.
95
Cf. chap. II, Les moulins d’Ancien Régime, Les sept meuniers de Sonvilier.
96
Une seule scierie demeure actuellement en fonction, mais elle a cessé depuis 1948 de puiser son énergie
dans la Suze. Concession 50G14 du 24 décembre 1908 (Archives OEHE, Berne).
Les usines du XIX
e
siècle
Agriculture et industrie ont longtemps cohabité à
Cormoret. En arrière-plan, les Etablissements Technos SA,
décolletages en tous genres (Frank Vaucher, Cormoret, op.
cit., p. 152).

Page 10
131
Dès le début du XIX
e
, Sonvilier compte
parmi les villages les plus populeux du dis-
trict et rivalise avec St-Imier et Tramelan. Au
milieu du siècle, tous trois prennent des allu-
res de bourgades et même de villes, comme
les veulent les contemporains
97
.
Entre 1850 et 1880, Sonvilier vit un véri-
table âge d’or. Au début des années 1880,
le village compte plus de 2’400 habitants
98
;
parmi eux, de nombreux horlogers complets,
alors considérés comme les aristocrates de la
profession
99
.
Persuadés de la supériorité de leur pro-
duction artisanale, les horlogers de Sonvilier
regardent les fabriques sortir de terre un peu
partout dans le reste du Vallon et se met-
tent à fustiger la déqualification du métier
q u’elles entraînent. Bien vite aussi, ils cons-
tatent qu’une grande partie de la production
est en train de leur échapper et qu’aucun des
petits patrons de Sonvilier n’est susceptible
d’enrayer le mouvement au village.
Au début des années 1880, Eugène Prêtre,
conseiller communal, conscient du virage pris par l’industrie horlogère, s’inquiète
ouvertement de l’avenir de Sonvilier. Il a vu des fabriques se construire à La Heutte
et à Cormoret ; il sait que Bienne s’ouvre toujours plus à l’horlogerie et que les
montres fabriquées dans l’usine des Longines, toute proche, connaissent un tel suc-
cès que les patrons sont contraints de l’agrandir pour la seconde fois en trois ans.
L’horlogerie conquiert l’ensemble du Vallon de St-Imier
97
Marcel Rérat, Approche des conditions socio-économiques dans le Jura à l’époque de la Première
Internationale (1860-1880), in La Première Internationale et le Jura, Moutier, Société jurassienne d’Emu-
lation, 1972, p. 47-55.
Au sujet de l’urbanisme de ces villages, si souvent décrié, Marcel Rérat écrit : Les grands incendies […]
de St-Imier et Sonvilier […] favorisent une vaste reconstruction dans le style terne qui aligne les maisons
comme de grands cubes uniformes.
98
A cette date, Renan en compte 1’804 ; St-Imier, 7’033 ; Villeret, 1’439 ; Courtelary, 1’202 ; Corgémont,
1’356 ; Sonceboz, 1’162 ; Tramelan-dessus, 2’243. Annuaire des statistiques jurassiennes, 1984.
99
En 1880, l’industrie horlogère jurassienne emploie déjà plus de 14’000 personnes, dont un bon tiers de
femmes. Au Vallon, cette proportion s’élève même à 50 %. Marcel Rérat écrit : Il existait une véritable
hiérarchie entre les régions horlogères. Chacune se spécialisait plus ou moins et, tout en cherchant à pro-
duire elle-même des montres finies, elle restait toujours dépendante d’une autre pour telle ou telle four-
niture. Le pôle majeur est La Chaux-de-Fonds dont dépend Saint-Imier qui sert de relais pour le reste
du Jura qui l’approvisionne en parties brisées. La suprématie de la métropole horlogère neuchâteloise
perdurera dans le domaine commercial tandis que Bienne imposera progressivement sa collaboration
au Jura dans le domaine technique, surtout après 1881, lorsque s’y ouvrira un bureau de contrôle des
métaux précieux. Marcel Rérat, Approche, op. cit., p. 51-52.
Sonvilier : la Suze corsetée (1987)

Page 11
132
Pour suivre cette évolu-
tion, Eugène Prêtre lance
l’idée d’un soutien commu-
nal à la construction d’une
fabrique d’horlogerie au
village et fonde un comité
d’initiative. Sa proposition
suscite un vif débat dans la
population, peu favorable,
voire carrément hostile au
travail en usine ; Eugène
Prêtre n’en continue pas
moins de considérer les
fabriques comme un mal
nécessaire
100
.
Le conseil communal
finit par se rallier à sa pro-
position et décide de mettre
25’000 francs à disposition de l’industriel qui s’engagerait à créer une fabrique au
village et à l’exploiter. Une assemblée communale est convoquée le 4 février 1882.
Lors des débats, le citoyen Jacob Schweitzer insiste pour que la Commune pousse
à la construction d’une fabrique de montres qui seule procurerait de l’ouvrage aux
habitants du village et non pas une fabrique de blancs* pour laquelle la localité
Les usines du XIX
e
siècle
100
AC Sonvilier, Protocole des Assemblées et du Conseil communal. 27 mai 1882, p. 52-53.
Le travail à domicile ou dans de petits ateliers était la règle à
Sonvilier (1910) (photo tirée de Marius Fallet, Le travail à domicile
dans l’horlogerie suisse et ses industries annexes, Berne, Imprimerie
de l’Union, 1912, fig. hors-texte).
Extrait du Protocole des Assemblées et du Conseil communal, 4 février 1882 (AC Sonvilier).

Page 12
133
n’aurait que peu ou point d’ouvriers
101
. L’ancien maire Gustave Chopard exhorte
ses concitoyens à se montrer dignes de l’avenir de la localité. Les citoyens accep-
tent le crédit à l’unanimité.
Une commission se met immédiatement au travail et lance un premier appel
d’offres, puis rencontre quelques candidats. Une convention est passée avec un
certain Villemain, horloger mécanicien à Orchamps-Vennes, dans le département
français du Doubs. Mais Villemain ne se contente pas du crédit alloué et négocie
immédiatement une rallonge de 5’000 francs.
Une nouvelle assemblée est convoquée pour entériner le crédit additionnel.
Gustave Chopard intervient à nouveau : c’est une nécessité, dit-il, et que malheu-
reusement l’avenir est plus ou moins aux fabriques et que si Sonvilier veut encore
prospérer, il faut qu’il fasse des sacrifices
102
. Une nouvelle fois, les citoyens se ran-
gent à son avis.
Mais l’été 1882 se termine sans qu’aucune fabrique ne sorte de terre au village.
Villemain a jeté l’éponge, on ne sait trop pourquoi.
Le 23 octobre de la même année, le maire Emile Jacot informe ses collègues
du conseil communal qu’une nouvelle proposition lui est parvenue. Elle émane
d’un certain Georges Huguenin, fabricant d’horlogerie à La Chaux-de-Fonds, qui
déclare vouloir exploiter une fabrique au village regroupant de 80 à 90 ouvriers.
Mais il ne veut pas lui-même se lancer dans la construction d’une usine et propose
aux communes municipale et bourgeoise*
103
de s’allier pour la construire et d’en
devenir propriétaires, avant que l’intéressé ne la rachète éventuellement, suivant
la conjoncture.
Un nouveau débat agite le village : est-ce vraiment aux communes de devenir
propriétaires d’une fabrique ? Convoquée le 3 février 1883, l’assemblée commu-
nale est si nombreuse ce jour-là qu’elle doit se rendre au temple pour siéger ! Le
président donne lecture de la convention passée avec Georges Huguenin : le fabri-
cant s’engage à exploiter une fabrique que la commune construira selon les plans
que fournira l’architecte chaux-de-fonnier Albert Theile
104
; le bail sera d’une durée
de 10 ans ; le loyer annuel, de 750 francs. Avant de passer au vote, le président
détaille encore le budget et précise que les communes municipale et bourgeoise se
partageront les frais à égalité.
On remarquera que l’installation de la force motrice représente à elle seule près
de la moitié du devis de construction de la fabrique :
L’horlogerie conquiert l’ensemble du Vallon de St-Imier
101
AC Sonvilier, Protocole des Assemblées et du Conseil communal. 4 février 1882, p. 30.
102
L’ancien maire rappelle aussi que la commune a participé, il y a dix ans, à la construction des chemins
de fer jurassiens en souscrivant pour 200’000 francs d’actions de la société du Jura-Simplon et que cela
n’a nullement nuit à sa prospérité (AC Sonvilier, Protocole des Assemblées et du Conseil communal.
27 mai 882, p. 53).
103
On se souvient que les communes municipale et bourgeoise de Corgémont avaient contribué à la cons-
truction de la fabrique d’ébauches des Eguet. Cf. ci-dessus, La fabrique d’ébauches de Corgémont
(1834).
104
Le même architecte sera appelé à construire un bâtiment industriel pour Omega à Bienne, en 1906.

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Travaux préparatoires, nivellement, clôture
3’500
Achat du terrain
8’000
Canalisation
4’000
Turbine
10’000
Fabrique
21’000
Chaudière
12’000
Machine à vapeur
4’200
Transmissions
1’500
Installation de l’eau courante
500
Total
64’700
Tableau 6 : Devis de la construction de la fabrique de Sonvilier (1883)
105
L’assemblée forte de 157 citoyens, adopte par 117 voix, sans avis contraire,
le projet de convention Huguenin
106
. L’idée d’une fabrique propriété de la com-
mune ne fait plus l’unanimité. Qu’importe ! En mars 1883, les autorités libèrent
une première tranche de
crédit, mais décident de
différer l’installation
de la machine à vapeur,
pour réaliser quelque
économie. Une somme
de 9’000 francs est ainsi
mise de côté pour le
moment où [Huguenin]
se verrait obligé d’em-
ployer la vapeur. Le
chantier s’ouvre aussi-
tôt. A fin juillet 1883,
les autorités décident de
fêter la levure de la char-
pente en offrant Jeudi,
Vendredi & Samedi, les
10h & les 4h à chaque
homme, charpentier,
maçon et terrassier, à raison d’une chopine et d’une ration de pain & de fromage
[…] en évitation de difficulté avec les susdits ouvriers
107
!
La fabrique est sous toit ; Georges Huguenin tarde cependant à s’y installer,
pour des questions conjoncturelles, semble-t-il, et ce n’est que le 1
er
juillet 1884
Les usines du XIX
e
siècle
105
AC Sonvilier, Protocole des Assemblées et du Conseil communal. 3 février 1883, p. 94.
106
AC Sonvilier, Protocole des Assemblées et du Conseil communal. 3 février 1883, p. 95.
107
AC Sonvilier, Protocole des Assemblées et du Conseil communal. 26 juillet 1883, p. 116-117.
La fabrique communale de Sonvilier devenue IGA SA, aujourd’hui
démolie et remplacée par l’atelier d’un garagiste (photo de la fin des
années 1970, tirée de Simone Oppliger, Quand nous étions horlogers,
Lausanne, Payot, 1980, p. 93).

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135
qu’il signe son bail. A l’automne, il songe déjà à développer ses activités et propose
de fournir l’éclairage électrique au village. Mais son rêve sera de courte durée.
A peine installé, le Chaux-de-fonnier rencontre de sérieuses difficultés avec sa
force motrice qui le contraignent à une exploitation irrégulière de la fabrique. Une
calamité ! Il réclame aussitôt l’installation de la machine à vapeur promise par la
commune, le rehaussement de la vanne sur la Suze et l’établissement d’un déver-
soir* sur son canal d’amenée*, espérant ainsi renforcer la puissance de sa force
hydraulique. Les autorités communales rechignant à investir davantage que le
montant prévu pour la machine à vapeur, Georges Huguenin propose de prendre
en charge les frais de remise en état des berges du canal mises à mal par des débor-
dements intempestifs et par un voisin peu scrupuleux qui désirait irriguer ses prés,
et négocie la prolongation de son bail d’un an. Ce sera chose faite et, par la suite,
il construira encore un étang pour stocker les eaux de la Suze afin de pouvoir tra-
vailler par éclusées*, au total mépris des autres usagers.
En 1889, la fabrique de Sonvilier emploie 59 ouvriers et exploite une force
motrice de 16 CV, produite conjointement par la turbine et la machine à vapeur
108
.
A fin 1891, Georges Huguenin subit de plein fouet la crise horlogère du moment
109
et se voit contraint de renvoyer la plupart de ses
ouvriers, en leur donnant leur quinzaine, comme
il est d’usage à l’époque. Il propose aussi à son
principal créancier, Charles-Auguste Jequier,
27 ans, monteur de boîtes à Fleurier, de prendre
une participation dans son entreprise. Intéressé,
mais sans le sou, celui-ci en parle à son père, Jules-
Samuel, 57 ans, établisseur spécialisé dans la
montre chinoise* et futur fondateur de la Fleurier
Watch Co SA
110
avec ses fils. Le père décide de
reprendre la fabrique de Sonvilier et de créer une
société anonyme pour l’exploiter. Son fils aîné,
Jules-Henri, 31 ans, initiateur de la fabrication
mécanisée des ébauches* au Val de Travers, en
devient directeur.
En 1893, coup de théâtre : les Jequier veulent
se désengager de Sonvilier, une année et demie
après leur arrivée. La crise horlogère, qui les
affecte également, sévit de plus belle ; mais ce
L’horlogerie conquiert l’ensemble du Vallon de St-Imier
108
Statistique générale des industries recensées dans les communes du canton de Berne en novembre 1889.
Mitteilungen der Bern. Statist. Bureau’s, 1891/I, p. 64.
109
Les journaux professionnels d’alors attribuèrent cette crise à quatre causes principales : surproduction
due à l’introduction des machines ; manque d’organisation des producteurs ; manque d’éducation com-
merciale ; crédits excessifs. François Jequier, Une entreprise horlogère du Val-de-Travers : Fleurier Watch
Co. SA, Neuchâtel, Les éditions de la Baconnière, 1972, p. 65.
110
Pour l’histoire de l’entreprise, cf. François Jequier, Une entreprise horlogère, op. cit.
Montre dite « chinoise » (Fleurier-
Genève, vers 1840) (coll. Musée de
l’horlogerie et de l’émaillerie, Genève,
Inv. M 911 ; photo tirée de L’homme et
le temps en Suisse : 1291-1991, op. cit.,
p. 226).

Page 15
136
n’est pas la seule rai-
son : ayant des ennuis
et toutes sortes d’en-
traves avec le syndi-
cat ouvrier
111
, [papa]
nous proposa d’aban-
donner Sonvilier et de
transférer les machi-
nes et toute la fabri-
cation à Fleurier
112
.
Aussitôt dit, aussitôt
fait ! En janvier 1894,
les Jequier agrandis-
sent l’une de leurs
fabriques à Fleurier
et créent une nouvelle
raison sociale, Jequier
Frères & Cie. Nous avions compté sans les imprévus ; lorsque la municipalité
de Sonvilier apprit que nous allions quitter la localité, elle nous fit remarquer
que nous étions liés comme successeurs de G. Huguenin par un contrat qui pré-
voyait que nous étions tenus de fabriquer dans la localité pendant « X » années.
Qu’allions-nous faire ? La fabrique de Fleurier était prête, l’inscription J.F. et Cie
était peinte au mur et je crois même qu’elle avait paru dans la Feuille officielle.
Papa insista pour que nous allions de l’avant en amenant quelques machines de
Sonvilier pour compléter l’outillage fourni par Jules-Henri […].
Un technicien de Fleurier au service des Jequier, Arnold Richard, est nommé
gérant de la fabrique de Sonvilier. A fin 1895, il fait installer un moteur électrique
alimenté par le réseau de La Goule et démonte la machine à vapeur, jugée trop
coûteuse à l’emploi
113
.
Pendant cette période, les Jequier tentent une nouvelle fois de se désengager de
Sonvilier, mais les autorités leur refusent toute remise de bail anticipée.
Le bail étant enfin arrivé à échéance, les Jequier peuvent abandonner leur pro-
duction à Sonvilier. La fabrique est vendue à un premier repreneur le 1
er
juillet
Les usines du XIX
e
siècle
Le cercle ouvrier de Sonvilier (fin des années 1970) (Simone Oppliger,
Quand nous étions horlogers, op. cit., p. 87).
111
Sonvilier a connu une intense vie syndicale. De nombreux débats sur la question de la propriété, du
capital, du travail s’y sont déroulés ; la Fédération jurassienne, une internationale anti-autoritaire oppo-
sée à Karl Marx s’y est créée. La contrée a hébergé de nombreux anarcho-syndicalistes, dont Michel
Bakounine, à la ferme de l’ancien Moulin sous le Château. Cf. Charles Thomann, Les hauts lieux de
l’anarchisme jurassien, Le Locle, Sonvilier et Saint-Imier, La Chaux-de-Fonds, 1866-1880. La Chaux-
de-Fonds, Ed. du Haut, 2002.
112
Lettre de Charles Jequier-Borle à son beau-frère William Borle, datée du 28 déembre 1925. Citée par
François Jequier, op. cit., p. 65. La citation suivante en est également extraite.
113
Les coûts d’exploitation de la machine à vapeur ont empêché la conclusion de la vente de la fabrique à
deux repreneurs potentiels, un certain Paul Grosjean-Redard, de La Chaux-de-Fonds, et les fabricants
d’horlogerie Moeri & Jeanneret, de St-Imier.

Page 16
137
1898. Plusieurs autres industriels lui
succéderont, mais sans jamais vrai-
ment parvenir à la rentabiliser ; sauf
Jean Gasser, qui l’exploite jusqu’à son
décès, en mars 1949. Ses héritiers la
cèdent à la société IGA SA qu’il avait
constituée lui-même du temps de son
vivant. En 1957, les propriétaires
renoncent à leur concession hydrau-
lique
114
.
A la fin des années 1970, la fabri-
que d’horlogerie cesse toute acti-
vité
115
. Un garagiste s’y installe, puis
la démolit pour la remplacer, dans les
années 1990, par un nouvel atelier et
par un immeuble locatif.
Malgré l’arrivée de l’électricité au
village à fin 1894, plus aucune fabri-
que d’importance ne verra le jour
avant longtemps ; les difficultés d’ap-
provisionnement énergétique de la
fabrique communale avaient décou-
ragé la venue d’autres entrepreneurs
à Sonvilier, qui préfèrent déjà s’instal-
ler dans les centres régionaux comme
St-Imier ou Bienne.
L’horlogerie conquiert l’ensemble du Vallon de St-Imier
114
Concession 50G15 du 24 décembre 1908 (Archives OEHE, Berne).
115
Simone Oppliger, Quand nous étions horlogers, op. cit., p. 90-97.
Le lit de la Suze dans les hauts de Sonvilier : traces
d’une ancienne captation d’eau (1999) ; en arrière-plan,
la scierie de la Raisse.