LA CINEMATHEQUE FRANCAISE, DE 1936 A NOS JOURS. CNRS Edition - CNRS Histoire Cet ouvrage se nourrit d'une ambiguïté, liée au statut même du cinéma, que résume fort bien le critique Jean-Pierre Jeancolas dans le n° 269/270, de juillet août 1983, de la revue Positif, en ces termes : "Le film est un matériau ( fragile ), un produit et une valeur ( fluctuante ), en même temps qu'il est (ou qu'il supporte) une oeuvre d' art ou un moment de la pensée contemporaine. Le film est terriblement mortel, plus que n' importe quel autre signe, objet ? , de l'expression humaine." Le film est donc un produit, et d' abord un produit chimique, le film est aussi une oeuvre, que l'on peut considérer comme artistique ou simple expression de la pensée contemporaine, comme le dit Jeancolas. Tenter d' approcher l'Histoire de la Cinémathèque française et du patrimoine cinématographique en France, et cela vaut d' ailleurs hors du seul cadre national, n'est pas seulement aborder une histoire culturelle. Cette approche revêt aussi un caractère politique, tout autant qu'économique. Aspect politique car, et c'est aussi ce qui permet, aujourd'hui, l'existence d' une véritable cinématographie française, le cinéma est régi par un cadre institutionnel, fait de textes et de lois, issus de choix politiques, plus ou moins discutables et donc sujets à controverses. L'Histoire du patrimoine cinématographique, composante de l'Histoire du cinéma, y possède sa part d' interrogations, et l'on peut se demander, question sur laquelle nous reviendrons, si la Cinémathèque française n' a pas été créée à cause, ou grâce aux carences de ce cadre institutionnel. Aspect économique car le cinéma nécessite des moyens financiers importants, plus que toute autre activité artistique. " Le cinéma est un art, le cinéma est aussi une industrie", bien évidemment, comme disait André Malraux. Le film - oeuvre est aussi film - produit et tenter d' en assurer la conservation nécessite la réunion de moyens financiers très importants. La difficulté de les réunir pourrait à elle seule résumer cette Histoire de la conservation du patrimoine cinématographique tant il est vrai que les moyens mis en oeuvre n' ont pas toujours permis de véritablement assurer la survie de ce patrimoine. Dès lors, l'économique rejoint le politique : la volonté " institutionnelle" d' assurer cette conservation s'est -elle vraiment exprimée? Tenter donc d'établir cette Histoire du patrimoine fait obligation d'englober toute la notion de conservation, ou de préservation, et ce des origines à nos jours. Telle fut notre intention, remonter à ces origines, en 1898 avec les premiers écrits de ce photographe polonais, Boleslaw Matuszewschi, et contemporaines, ou presque, de la naissance même du cinéma, et de retrouver, à travers les décennies, la lente évolution de cette idée, d' abord réfutée, puis acceptée, et ce jusqu'à aujourd'hui. Mais cette globalité est elle-même source de problématique, et le cadre historique, 1898 -1998, pose une difficulté méthodologique liée à ce que l'on pourrait appeler "'l'esprit du temps". Un siècle, ou presque, de cinéma, un siècle pour appréhender cette notion de patrimoine, un siècle pendant lequel le cinéma a bien changé, entre, si vous me permettez l'expression, deux modernités, celle de la fin du XIX°, post Révolution industrielle avec cette "curiosité scientifique" à la recherche de sa parfaite expression, et celle de la fin du XX°, où semble régner la toute nouvelle médiologie de Régis Debray. Le spectateur de cette fin de siècle n'est plus tout à fait le même que celui qui, effrayé, découvrait le cinéma des frères Lumière avec "L'Arrivée du train en gare de La Ciotat" et s'émerveillait des féeries de Georges Méliès. Le cinéma a changé, son approche historique a également évolué. Peut-on aujourd'hui écrire une Histoire globale du cinéma, à l'enseigne des Pères fondateurs, Georges Sadoul, Jean Mitry, voire Bardèche et Brasillach, hors tout clivage idéologique? La réponse, le plus souvent, est négative, issue des rangs mêmes des historiens du cinéma dont le champ d' investigation s'est considérablement élargi. L'Histoire du patrimoine cinématographique étant parallèle à l'Histoire du cinéma, peut-on aujourd'hui écrire Une histoire des Cinémathèques, ou plutôt du patrimoine cinématographique français? La question reste posée. L'Histoire de ce patrimoine, il est vrai, épouse les fractures de l'Histoire du cinéma, à commencer par la plus importante d'entre elles, le passage du muet au parlant. S'approcher de l'Histoire de ce patrimoine, c'est un peu comme ouvrir la boîte de Pandore, on risque fort d' y découvrir, malgré tout, toute, ou partie de l'Histoire du cinéma. Et si tenter cette Histoire ne peut s' effectuer qu'avec humilité, tâtonnements, respect de l'écrit et des acteurs de la période étudiée, si elle ne peut s' entreprendre qu'avec un nécessaire sens critique, et si la seule certitude, finalement, est que l'on n'est jamais sur de rien, au moins est-il aussi important de mettre en place ce que j'appellerai une "syntaxe temporelle", à savoir mettre l'accent sur des périodes charnières de cette Histoire, et en particulier de la Cinémathèque française. Elle permet d'éviter toute libéralité rédactionnelle et de retrouver le plan de l'ouvrage. Cet ouvrage se compose de trois parties. La première, de 1898 à 1940, retrace la naissance de cette idée de conservation, les échecs successifs de sa mise en application et ce durant tout le premier tiers du XX°, pour aboutir à la création de la Cinémathèque française et ses débuts, jusqu'à la période de l'Occupation. La seconde partie, de la déclaration de la Seconde Guerre mondiale et de l'Occupation à "l'Affaire Langlois", en 1968, est toute entière consacrée à la Cinémathèque française. Mais de préférence à une Histoire au jour le jour, à une Histoire événementielle, nous avons préféré mettre l'accent sur les moments clés de cette période, révélateurs du fonctionnement de cette institution, de répertorier les critiques formulées à son encontre, quelles soient internes ou externes, de définir le rôle de l'Etat, pour arriver à leur conséquence, "l'Affaire Langlois", prélude à la crise de mai 1968. La troisième et dernière partie, de "l'Affaire" donc à nos jours, nous permet de citer les autres organismes de conservation, la Cinémathèque de Toulouse, le Service des Archives du Films de Bois d' Arcy, la Cinémathèque Universitaire et l'Institut Lumière, à Lyon, dont la création est, quelquefois, la conséquence des carences de la Cinémathèque française, conservation stricto sensu avec Bois d' Arcy, rayonnement provincial avec Toulouse, activité à caractère pédagogique avec la Cinémathèque Universitaire. Elle nous permet aussi d' affirmer qu'avec le décès d' Henri Langlois, en 1977, la Cinémathèque française ne fut plus tout à fait la même, et pour cause , et qu'elle s'efforce, depuis, d'entrer dans une forme de modernité. Un second problème est lié à l'accès aux sources et archives, notamment en ce qui concerne la Cinémathèque française. Son passé est, d'une certaine manière, trop récent, pour ne point nourrir, encore aujourd'hui, de vives passions. Mieux vaut alors ne point divulguer ses archives, afin d' éviter toute polémique. Cette volonté s' est doublée d'ailleurs d'une réalité, celle des nombreux déménagements des " lieux de mémoire" de la Cinémathèque française, dans quelques obscures caves ou greniers dont les administrateurs n' avaient pas toujours connaissance. Outre les écrits, nous avons fait appel aux témoignages, et donc aux souvenirs, qu'il faut utiliser avec une extrême précaution, la mémoire pouvant là, faire quelquefois défaut. Mais ces témoignages sont aussi une réalité qu'il serait regrettable de ne point prendre en compte. Par un habile raccourci historique, citons Thucydide, dans la Guerre du Péloponnèse, tome 1, page 21 : " Quant aux actions accomplies au cours de cette guerre, j'ai évité de prendre mes informations du premier venu et de me fier à mes impressions personnelles. Tant au sujet des faits dont j' ai moi-même été témoin que pour ceux qui m'ont été rapportés par autrui, j' ai procédé chaque fois à des vérifications aussi scrupuleuses que possible. Ce ne fut pas un travail facile, car il se trouvait dans chaque cas que les témoins d'un même événement en donnaient des relations discordantes, variant selon les sympathies qu'ils éprouvaient pour l'un ou l'autre camp selon leur mémoire." La leçon de l'antique historien doit être retenue et nous nous sommes efforcés de recouper les informations orales avec les écrits et de traquer, à travers les discours, la part de la passion et de la stricte information. Reste que, pour reprendre les termes de Philippe Joutard, dans un article intitulé "Historiens, à vos micros", paru dans le n° 12, de mai 1979, de la revue L'Histoire, et je cite, " les archives orales permettent aussi de mieux saisir le vécu des divers acteurs historiques ou l'histoire se faisant, ce que les Américains appellent l'atmosphère." Et Philippe Joutard d' ajouter qu' "elles sont les seules susceptibles de faire apparaître une microsociologie du pouvoir et des relations interpersonnelles qui rend parfois mieux compte d'une décision, d'une action que tel ou tel grand clivage reconnu." Les jeux de pouvoir au sein de l'archivage du patrimoine cinématographique, et singulièrement autour de la Cinémathèque française, ont existé, parfois violents, n' excluant pas l'anathème envers tel ou tel critiquant l'institution . Les témoignages nous ont aussi permis de mieux comprendre cette réalité. L'objet de ce travail fut donc de retracer la lente maturation de cette idée, à savoir la nécessité de la conservation du patrimoine cinématographique qui, fait d' importance, ne se limite pas exclusivement aux films : décors, costumes, écrits divers, scénarios, tout ce qui constitue le cinéma doit être pris en compte. Il a fallu essayer de comprendre de quelle façon cette idée s'est concrétisée, à travers la création, toujours difficile, de divers organismes. II a fallu tout autant éviter certains écueils, le premier étant lié à la réalisation de cette idée de conservation. II est bien évident que la Cinémathèque française occupe une place qui tend à l'hégémonie au sein de ce concept. Mais si elle est la pierre angulaire de la conservation, elle n'est pas toute, et nous l'avons dit, la conservation du patrimoine cinématographique et réduire cette idée de conservation à la seule Histoire de la Cinémathèque française aurait été une erreur. Et si, à juste titre, cette Cinémathèque française revêt toutefois une place de choix dans notre travail, réduire son historique à la personne de son secrétaire général, Henri Langlois, aurait tout autant été schéma réducteur. Le piège était de rédiger une biographie d' Henri Langlois, figure tutélaire du cinéma français. S'il fut un formidable animateur, il faut bien convenir que sa reconnaissance a franchi les frontières du cinéma à partir de " l'Affaire" , qui l'a fait connaître au grand public. Paradoxalement, c'est aussi à cette date que son influence a semblé moins affirmé. Henri Langlois pouvait discourir sur LE cinéma, dans sa globalité, depuis les origines et ce jusqu'à un certain point. Tout comme il semble impossible d'écrire aujourd'hui une Histoire du cinéma, il apparaît de plus en plus présomptueux de discourir sur cette même globalité. Réduire ce travail à une biographie d' Henri Langlois aurait sans doute aussi atténuer le rôle des co-fondateurs de la Cinémathèque française. Henri Langlois ne fut pas seul créateur de cet organisme et la Cinémathèque française a été créée par de fortes individualités, la meilleure preuve en étant que chacun, par la suite, a trouvé sa voie Jean Mitry, inlassable défricheur, véritable "Michelet du cinéma" pour citer Claude Beylie a rédigé une oeuvre monumentale et Georges Franju a réalisé l'un des plus brillants parcours de notre cinématographie, le seul regret étant qu'il n'ait pas toujours été reconnu à sa juste valeur. Eviter les pièges que pouvait constituer une seule Histoire de la Cinémathèque française, ou une stricte biographie de Langlois, n'oblitère pas de reconnaître des absences ou des insuffisances, à commencer par la réflexion liée à l'accès à ce patrimoine. Le cinéma considéré comme art, le film moyen d'expression de la société, voilà qui touche à la notion de domaine public. Le concept de conservation ne se réduit pas au seul fait d' "archiver" des bobines de films. Ces films, il faut pouvoir les visionner. Le patrimoine cinématographique doit être en quelque sorte "visité", et donc se trouver à disposition du public. Le patrimoine cinématographique est composante de la Nation et ne point pouvoir y accéder, hors des moments de projection imposés par la programmation, doit permettre de s' interroger sur la volonté de l'Etat en la matière. Cette interrogation a pris un aspect dramatique avec l'impossibilité de connaître l'état des collections détenues par la Cinémathèque française. La Nation ne connaît pas l'existence d'une partie de son patrimoine, cette réalité implique la mise en cause de l'Etat en la matière. II est vrai que la Cinémathèque française fut une création privée et la volonté d' Henri Langlois fut de veiller jalousement sur son indépendance et de contester toute hypothétique main mise de l'Etat sur ses collections. Insuffisance aussi, à notre sens, en ce qui concerne le rôle "pédagogique" de cette Cinémathèque française. Elle fut une école de formation, de réflexion sur le cinéma, sa fonction, son utilité, un instrument de maïeutique, où s'est nourri bon nombre de générations de cinéastes, à commencer par ceux de la Nouvelle Vague. Reste alors à chercher les applications pratiques de l'influence pédagogique de la Cinémathèque française sur ces cinéastes, leurs oeuvres s'étant nourries des films projetés rue d' Ulm ou à Chaillot. Ce qui, véritablement, est un autre débat, nécessite des outils d'analyse différents, à commencer par la vision des oeuvres filmées et les difficultés inhérentes, la possibilité, ou l'impossibilité matérielle de la vision de ces mêmes oeuvres. Tel est donc notre propos, à travers les difficultés rencontrées et ses insuffisances, retrouver la réalité d' un patrimoine, celui qu'a formé un divertissement d' ilotes devenue art, le septième du nom. http://www.ifrance.com/cinematheque-histoire/page1.htm