Le fantôme d'Henri Langlois (film de Jacques Richard) Festival de Cannes - Semaine de la critique - Séances spéciales France / sortie le juin 2004 La passion selon Henri « On a voulu mettre de la gestion là où il y avait de la poésie. » Un portrait d’Henri Langlois ? Vaste projet tant il s’agit d’un grand bonhomme et d’une aventure gigantesque : la première création d’un patrimoine cinématographique et la sauvegarde des films. Faire passer la passion qui a animé la vie du fondateur de la Cinémathèque Française n’est pas chose aisée. Jacques Richard y est parvenu avec beaucoup d’intelligence… et de travail. Avec un temps de préparation de sept années environ, il a rassemblé et tourné une somme vertigineuse d’images d’archives et de témoignages. Il faut bien le dire, l’ensemble est tout simplement passionnant. Le cinéaste a réussit à rendre digeste (très) un documentaire colossal pour en faire quasiment un film de fiction, une épopée. Les 3h30 de ce documentaire (et il le fallait bien tant il y avait de choses à dire) nous font découvrir un Henri Langlois passionné, boulimique de cinéma, désordonné, obstiné, intelligent, drôle, généreux… Bref multiple et captivant. Le documentaire aborde les faits de manière chronologique : des balbutiements de la mondialement célèbre Cinémathèque Française (dès 1936) à l’incendie qui l’a ravagée en 1997, en passant pas le limogeage (1968) et la mort (en 1977) de son créateur. On y voit ainsi un homme qui voue au cinéma un amour sans bornes. En étant le premier à constituer un fond cinématographique dès 1936, il rachète tout systématiquement. Pour lui, les films font partie du patrimoine et ne sauraient être privés (il refuse même de restituer à leurs propriétaires des bobines qu’on lui dépose). Lorsqu’on lui demande d’en prêter un, il répond : « tu n’a qu’à aller au Louvre et demander qu’ils te prêtent la Joconde, tu verras ce qu’ils te diront ». Parce qu’il défend bec et ongles les films qu’il collectionne. Pour le cinéma. Pas pour lui puisqu’il n’en profitera pas pour s’enrichir. Alors sa collection s’agrandit et les projections commencent. Quelques années plus tard se dessine autour de lui ce qui sera déjà la Nouvelle Vague : Godard, Rivette, Chabrol… tous se pressent à la Cinémathèque pour découvrir l’histoire du cinéma. Chabrol dira de lui qu’il a inventé le multiplexe : le local étant trop exigu, les projections se font au rez-de- chaussée, au premier étage et… dans l’escalier. Ces jeunes cinéastes, il les encouragera. Certains, Godard en tête, seront à ses yeux des mauvais élèves qui veulent faire table rase du cinéma classique. Ils seront à ses yeux les plus intéressants. Surtout, il leur apprendra à voir des films, à connaître en profondeur le cinéma et à l’aimer (« les qualités d’un film, ce ne sont pas ses défauts » aime-t-il répéter à Claude Chabrol). Mais après quelques années, le ministère de la culture, dirigé par un Malraux qui l’aura pourtant soutenu, lui met des bâtons dans les roues. On lui reproche sa mauvaise gestion de la Cinémathèque, et aussi de perdre des films, d’être désordonné. Ce à quoi Franju répond : « Langlois n’est pas désordonné. Il a un sens scientifique du désordre ». Bref, on veut sa place. On cherche à retirer à Henri Langlois quelque chose qu’il a créé et qui constitue sa vie. Alors, comme le dit un des intervenants, c’est le complot des médiocres. On veut le remplacer par des gestionnaires. Son cercle le soutient. Truffaut en tête, pour qui « ce poste n’est pas une fonction, c’est une vocation ». Lors des manifestations de février 1968 pour protester contre son limogeage, Jean- Pierre Léaud fait un discours comme si c’était la Révolution Française. Daniel Cohn-Bendit est même de la partie. Le monde du cinéma se mobilise : Nicholas Ray, Jean Renoir, des comédiens (Jean-Paul Belmondo, Mireille Darc…). Des télégrammes du monde entier arrivent. De Gaulle, alerté, demandera même « mais qui est donc ce Henri Langlois dont tout le monde me parle ? ». Car le monsieur est reconnu dans le monde entier (il recevra même ,en 1974, un Oscar pour l’ensemble de son travail). Malraux le réhabilite finalement mais la cinémathèque en sort amoindrie. Le fantôme d’Henri Langlois, c’est aussi les paroles d’un visionnaire sur l’évolution du cinéma : après une projection d’Ivan le Terrible que le public n’avait pas tellement aimé, il dit que c’est normal car les gens s’habitue à ne voir que des navets et ils ne peuvent plus comprendre. Il dénonce également la prédominance croissante d’un système commercial et la difficulté croissante d’être en dehors de celui-ci (« tous les gens qui disent non au système filment avec des bougies ») Le documentaire de Jacques Richard est un regard passionnant sur un homme pluriel, boulimique (de cinéma mais aussi de confiture puisqu’il possède aussi une confiturothèque…), sur un homme qui n’aura finalement réalisé qu’un seul film (Le Métro en 1935 avec Franju). Parce que pour lui, contrairement à un peintre ou un écrivain, un cinéaste n’était pas libre. Trop de contraintes financières et humaines. Et c’est ce goût de liberté et une certaine dimension poétique qui lui auront valu tant de détracteurs. Laurence http://www.cannes-fest.com/cine/films/fichec.php?id=605