[6.] La Communauté israélite [de La Chaux-de-Fonds] (texte publié en 1944) Comme le Livre du Centenaire, paru en 1894, ne mentionne pas la Communauté israélite, nous pensons intéresser quelques lecteurs en reprenant son histoire dès le début. La rue Fritz-Courvoisier s'est appelée jusqu'en 1867 rue des Juifs. Elle n'a pourtant jamais servi de ghetto, mais il s'y trouvait un bureau de péages où les colporteurs juifs devaient acquitter les droits. On y rencontrait donc beaucoup d'Israélites, à une époque où aucun d'entre eux n'habitait encore le « Grand Village ». Les archives communales mentionnent en 1790 des Juifs exerçant le commerce d'horlogerie. Le 20 octobre 1796, le registre communal parle de Juifs qui séjournaient dans la localité. « Le 13 août 1815, Léon Woog, Juif d'Alsace, disent les Archives, est reçu habitant par faveur particulière, la guerre ayant dévasté l'Alsace et notamment le village d'Hegenheim qu'il habitait ». Ce doit être le premier établissement à titre permanent. D'autres Israélites vinrent à La Chaux-de-Fonds par la suite, mais ils restèrent fort peu nombreux jusqu'en 1833, où a lieu la première réunion de prières à l'occasion du Nouvel-An et du Grand Pardon, dans le logement de M. Léon Woog. Plusieurs personnes vinrent du Val-de-Ruz, du Val-de-Travers et même de Ste-Croix pour y assister. Peu après, de nouvelles familles juives viennent à La Chaux-de-Fonds, et une Communauté régulière est formée cette même année. Parmi les nouveaux arrivants se trouve M. Isaac Bloch, qui avait une instruction religieuse très étendue et qui fonctionne comme ministre officiant et comme instituteur. Le culte avait lieu dans son logement. Cependant, la petite Communauté grandit et la chambre qui servait d'oratoire devient trop petite. Le 6 octobre 1843, la Communauté demande l'autorisation d'ouvrir une Synagogue. L'autorité communale répond favorablement et la Communauté loue rue Jaquet-Droz, dans la maison Sandoz-Paillard, un appartement qui fut la première Synagogue de La Chaux-de-Fonds. C'est aussi en 1843 qu'on institue un Comité administratif, dont le besoin ne s'était pas fait sentir jusque là. Au point de vue religieux, la Communauté se place sous la direction du Rabbin M. Nordmann, de Hegenheim (Alsace), qui entretient avec ses lointaines ouailles une correspondance suivie et les visite régulièrement. A cette époque, l'établissement des Juifs présentait de grandes difficultés, que les documents de l'époque indiquent d'ailleurs sans ambages. C'est d'abord la différence de religion, puis la différence de nationalité (il s'agissait de Juifs français ou allemands). Mais il y a surtout la concurrence commerciale que craignent les négociants chrétiens. C'est pourquoi les ouvriers et commis de religion juive ont toujours obtenu assez facilement le permis de séjour, ce qui n'est pas le cas des commerçants. La révolution neuchâteloise de 1848 n'amène tout d'abord aucun changement. C'est ainsi qu'en juin 1848, trois frères Nordmann, établis au Locle et qui fabriquaient beaucoup pour La Chaux-de-Fonds, demandèrent en vain le permis d'habitation. Ils reviennent plusieurs fois à la charge et finissent par avoir gain de cause en 1851. D'autres négociants juifs obtiennent le même droit, mais toujours à titre exceptionnel. Cependant, les idées libérales se répandent toujours plus et on comprend qu'il faut traiter les Israélites de manière plus équitable, d'autant plus qu'on n'évite nullement la concurrence ! En effet, les Juifs obtenaient sans difficultés l'établissement au Locle, aux Eplatures même (alors commune indépendante, où habitaient de nombreux Israélites). La question est définitivement tranchée par le Conseil municipal le 4 mai 1857, après un grand débat qui occupe deux séances et dans lequel les opinions libérales l'emportent. Cette discussion s'engage sur la demande de Messieurs Emmanuel et Elie Meyer, et c'est donc grâce à leurs instances que les Israélites peuvent, dès 1857, s'établir librement à La Chaux-de-Fonds. Le droit d'acquérir des immeubles se rattache étroitement au droit d'établissement. En 1849, M. Moïse Woog demande au Grand Conseil : 1. de pouvoir acquérir un immeuble ; 2. par mesure générale, d'accorder la même faveur à tous ses coreligionnaires. Après une longue discussion, le Grand Conseil autorise M. Woog à acquérir la propriété qui porte depuis cette date le surnom de « Jérusalem ». Mais il refuse de donner une autorisation générale et, en 1853, une demande analogue présentée par les frères Braunschweig est rejetée, quoique appuyée chaleureusement par plusieurs députés. Dès lors, la pratique varie, et c'est la revision de la Constitution fédérale en 1866 qui supprime définitivement toute distinction fondée sur la différence de religion. Reprenons l'histoire de la Communauté, qui s'accroît d'année en année. En 1862, les fidèles, à l'étroit dans leur oratoire, font construire et inaugurent solennellement la Synagogue, rue de la Serre 35. En 1867, la Communauté se déclare indépendante du rabbinat de Hegenheim et songe à appeler un rabbin à La Chaux-de-Fonds, ce qui ne fut possible que vingt ans plus tard. En 1868, on décide de créer un cimetière israélite, qui est établi en 1872. La commune des Eplatures cède une partie de son lieu de sépulture et le Conseil d'Etat donne l'autorisation nécessaire. Le nouveau cimetière est inauguré en une cérémonie imposante, le 9 décembre 1872, en présence des autorités municipales et de Messieurs les pasteurs. Comme la pluie ne cesse de tomber, elle a lieu au Temple protestant des Eplatures, que la paroisse met aimablement à la disposition des Israélites. On entend les discours de Messieurs de Montmollin, pasteur des Eplatures, Isaac Lévy, Grand-Rabbin de Vesoul et Schwob-Lévy, président de la Communauté. En 1874, la Communauté doit prendre une décision importante. La loi ecclésiastique du 20 mai 1873, en son article 22, autorisait les Communautés israélites du canton à se mettre au bénéfice de la loi et à se constituer en ce qu'on pourrait appeler une « Eglise nationale juive». Après un débat fort intéressant, l'assemblée générale réunie le 26 février 1874 renonce, à une seule voix de majorité, à se mettre au bénéfice de cet article 22. Peu après, l'accroissement marqué de l'effectif de la Communauté permit de réaliser une idée que les fidèles caressaient depuis longtemps : l'appel d'un rabbin à La Chaux-de-Fonds. M. Jules Wolff, âgé de 26 ans, gradué du Séminaire rabbinique de Paris, est désigné sur la recommandation des Grands-Rabbins de France. Sa première prédication a titre d'épreuve date du 16 mai 1888, jour de la Pentecôte. La nomination est ratifiée le 22 mai et l'installation officielle a lieu au Temple le 6 août ; c'est l'occasion d'une cérémonie à laquelle assistent les ecclésiastiques des différentes Eglises et les autorités locales. Il y a donc plus de 55 ans que M. Jules Wolf est à la tête de notre Communauté, et il serait difficile de rendre pleine justice à cette éminente personnalité. Durant cette longue période, il s'est acquis l'estime et le respect, non seulement de ses ouailles, mais aussi de tous ceux qui ont eu l'occasion d'apprécier ses hautes qualités de coeur et d'esprit, et notamment des ecclésiastiques de la ville, avec lesquels il entretint toujours des relations particulièrement amicales. 11 y a lieu de relever avant tout sa grande piété, son infatigable dévouement et son esprit de large tolérance, chose essen- tielle dans une Communauté où différentes tendances religieuses sont représentées. M. Jules Wolf est aussi l'auteur de savants ouvrages de théologie et de linguistique. Il fut appelé pendant longtemps à enseigner l'hébreu au Gymnase de La Chaux-de-Fonds, et les langues arabe et syriaque à l'Université de Neuchâtel. Il s'est occupé de nombreuses oeuvres de bienfaisance, de caractère religieux ou général. Pendant la guerre de 1914-1918 surtout, il s'était mis sans réserve au service de la Croix-Rouge et de l'aide aux prisonniers de guerre. Au sein de la Communauté, il eut le mérite de réorganiser l'instruction religieuse et le culte. La Communauté de Lausanne se plaça sous sa direction de 1914 à 1928, date à laquelle elle se donna son propre rabbin. Mais reprenons l'histoire de la Communauté. La Synagogue construite en 1862 devient rapidement insuffisante, et en 1881 déjà, on décide d'en construire une nouvelle. Le projet n'aboutit pas ; il est repris en 1890. On achète en 1891 un terrain à la rue de la Serre et le nouveau Temple est inauguré le 13 mai 1896. La construction présente un aspect monumental avec sa coupole et ses tourelles. Intérieurement, elle charme par la clarté de ses hautes baies, ses arcades harmonieuses, sa décoration polychrome et la belle structure du sanctuaire. Le style (inspiré paraît-il de Ste-Sophie de Constantinople) fait un amusant contraste avec l'austérité du paysage jurassien, surtout quand la coupole est recouverte de deux mètres de neige et que les bauches des tourbiers stationnent devant les grilles. L'inauguration donne lieu à deux jours de fête. Il y a d'abord un magnifique culte à la Synagogue, en présence des délégués des autorités communales, cantonales et fédérales, des ecclésiastiques de la ville et avec le concours des Grands-Rabbins de Genève et de Besançon. Puis, c'est un banquet de plus de 300 couverts au Stand des Armes-Réunies. Outre les représentants de la Communauté, on entend les aimables paroles de Messieurs Paul Mosimann, président du Conseil communal, John Clerc, conseiller d'Etat, Jules Breitmeyer, président du Conseil général, B. Schmidheini, pasteur de la Paroisse allemande et Georges Leuba, substitut du Procureur. Le lendemain, c'est une kermesse très animée au profit des oeuvres de bienfaisance. Quant à l'ancien Temple, il subit divers avatars. Après avoir servi de cinéma, c'est actuellement l'entrepôt de la maison Brunschwyler, installateur. Entre temps, en 1891, la Communauté avait fait construire un oratoire au cimetière des Eplatures. Au début de ce siècle, la Communauté s'accroît de plusieurs familles venues de Pologne et de Russie, pour échapper aux persécutions qu'elles subissaient dans l'empire des Tsars. En 1903, M. Simon Beyersdorf, ministre-officiant, prend une retraite bien gagnée et il est remplacé par M. Nathan Spira, qui remplit jusqu'à ce jour ses fonctions à la satisfaction générale et contribua grandement à rehausser le caractère artistique des offices divins. L'année 1904 est marquée par la fondation de l'Union des communautés israélites de Suisse, sur une initiative partie de La Chaux-de-Fonds. Cette institution a rendu de grands services, surtout ces dernières années, où elle s'est occupée infatigablement des nombreux israélites étrangers venus chercher un refuge en Suisse. C'est aussi l'organe qui représente le Judaïsme suisse devant les autorités fédérales. La guerre de 1914-1918 a de graves répercussions dans la Communauté, dont beaucoup de membres sont mobilisés, tant en Suisse que dans les Etats belligérants; c'est pour tout le monde une période d'angoisse et de préoccupations constantes. On entreprend de nombreuses actions de secours en faveur de la Croix-Rouge, des prisonniers de guerre, des sinistrés de Salonique, des enfants autrichiens, etc. La paix conclue en 1919 semble devoir marquer le commencement d'une ère meilleure, mais elle ne dure malheureusement pas longtemps. En 1928, on fête le 40ème anniversaire de l'installation de M. le Rabbin. A cette occasion, le Consistoire central de France lui décerne le titre de Grand-Rabbin, auquel il aurait eu droit depuis longtemps, mais que sa modestie l'empêchait de revendiquer. L'année suivante, la Communauté cède à Nhora le terrain qu'elle avait acquis pour l'agrandissement du cimetière et sans lequel l'aérodrome des Eplatures n'aurait plus eu une largeur suffisante pour l'atterrissage. Elle reçoit en échange un terrain en bordure de la route, qui est incorporé immédiatement au cimetière. La crise économique qui débute vers 1930 affecte sérieusement la Communauté, et beaucoup de familles israélites quittent la ville. D'autres, au contraire, s'établissent à La Chaux-de- Fonds à l'appel de l'Office de recherche des industries nouvelles et contribuent à y établir l'industrie textile en particulier). Dès 1933, les changements politiques survenus en Allemagne et les mesures antisémites prises dans ce pays préoccupent vivement la Communauté, qui soutient moralement, et aussi financièrement, ses coreligionnaires allemands. A La Chaux-de-Fonds même, il y a quelques manifestations antisémites, mais elles restent le fait de quelques isolés et cessent bientôt. Dans bien des cas, une franche explication suffit à dissiper les malentendus. En 1933, la Communauté célèbre son centenaire, modestement comme il convenait dans cette époque de crise. M. le Grand-Rabbin publie à cette occasion une brochure historique dont la plupart des renseignements qui précèdent sont extraits. Les personnes qui voudraient connaître plus en détails l'histoire de la Communauté la liront avec grand intérêt. Dès 1937 (Anschluss), de nombreux Israélites allemands et autrichiens viennent chercher refuge en Suisse. La plupart d'entre eux sont sans ressources et ne peuvent vivre que par le secours de leurs coreligionnaires suisses. Les Communautés s'imposent de gros sacrifices et celle de La Chaux-de-Fonds fait, comme toujours, plus que sa part. Cependant, la plupart des réfugiés restent en Suisse allemande ; quelques-uns viennent pourtant à La Chaux-de-Fonds. Il faudrait encore parler des oeuvres de bienfaisance nombreuses que la Communauté a créées et qu'elle soutient : Caisse centrale de bienfaisance, Fonds des apprentissages, Bonne-Oeuvre, Caisse de secours aux passants, etc. Leur activité silencieuse soulage bien des misères ignorées. En résumé, on constate que l'histoire de la Communauté israélite de La Chaux-de-Fonds fut peu mouvementée, grâce à la Protection Divine et à l'esprit toujours loyal et bienveillant des autorités et de la population. 11 y a lieu de relever les excellentes relations qu'elle entretient depuis plus de cent ans avec les autorités communales, ainsi qu'avec les Eglises protestantes et catholiques. Jean Hirsch L'auteur de cet article, Jean Hirsch, avocat et notaire, est né à La Chaux-de-Fonds le 19 mai 1908 et décédé en cette même ville le 14 juin 1984. Il donna des cours d'hébreu aux jeunes de la communauté israélite. Sur genenanet, on peut le trouver ici dès 2020 : https://gw.geneanet.org/greubjd_w?iz=9&n=hirsch&oc=0&p=marc+jean Source : Ce document est repris des pages 610 à 616 de l'ouvrage intitulé : La Chaux-de-Fonds 1944. Documents nouveaux publiés à l'occasion du 150ème anniversaire de l'incendie du 5 mai 1794, suite au volume paru en 1894. Editions A.D.C., sous les auspices du Conseil Communal. (773 pages) cet ouvrage de 773 pages paru en 1944 peut être téléchargé ici : http://www.ordiecole.com/chauxdefonds/150_ans_incendie_1794.pdf brochure du centenaire de la communauté israélite de La Chaux-de-Fonds (1833-1933), une brochure de 54 pages rédigée en 1933 par le grand rabbin Jules Wolff, né à XXX en 1862, décédé à La Chaux-de-Fonds le 29 janvier 1955 et téléchargeable ici en un seul fichier *.pdf : http://www.ordiecole.com/gen/centenaire1933.html http://www.ordiecole.com/gen/centenaire1933.pdf Jules Wolff, Les Huit Chapitres de Maimonide, ou Introduction a la Mischna d'Aboth, Maximes des Peres (de la Synagogue). Traduits de l'Arabe (Lausanne, Paris, 1912). Documents concernant la communauté d'Avenches : http://www.ordiecole.com/gen/avenches.html ___________________________________________________________________________________ vous consultez la page http://www.ordiecole.com/chauxdefonds/communaute1944.txt